16. La Révolution des Jeune‑Turcs de 1908 et la restauration de la monarchie constitutionnelle (la Deuxième ère constitutionnelle), qui, à l’instar de la Révolution iranienne de 1906 et de la Révolution chinoise de 1911, se développa comme l’une des répliques de la Révolution russe de 1905, ne résolut aucun des problèmes fondamentaux qui allaient bientôt provoquer la fin de l’Empire ottoman. Celui‑ci était devenu, dans la dernière période du XIXᵉ siècle, une semi‑colonie des puissances impérialistes, et la perte de ses territoires s’accélérait. Il perdit l’actuelle Libye lors de la guerre italo‑turque, ainsi qu’une grande partie de ses territoires européens au cours des guerres balkaniques de 1912‑1913, ce qui entraîna une migration massive de populations musulmanes des Balkans vers l’Anatolie. L’élite dirigeante de l’État ottoman, qui fut une cible importante des puissances impérialistes dans la Première Guerre mondiale, entra dans le conflit aux côtés de l’impérialisme allemand, nourrissant le rêve de reconquérir les territoires perdus au cours des années précédentes.
17. Les ambitions réactionnaires des élites dirigeantes ottomanes, loin de prévenir la désintégration inévitable de l’Empire, l’accélérèrent et entraînèrent la mort ou la mutilation de millions de personnes. Les lourdes pertes territoriales subies lors des guerres balkaniques alarmèrent le gouvernement d’Istanbul au sujet du peuple arménien, qui avait déjà connu divers pogroms et dont les revendications d’autonomie et d’indépendance s’étaient affirmées au cours des décennies précédentes.
Au début de la Première Guerre mondiale, l’armée ottomane subit une lourde défaite face à l’Empire russe en Anatolie orientale où vivait, en 1914‑1915, une importante population arménienne. Puis vint la campagne des Dardanelles (Gallipoli), entamée en 1915. Le gouvernement turc du Comité Union et Progrès, d’orientation nationaliste, réagit en promulguant la « loi de déportation » sous les prétextes de « collaboration avec l’ennemi » et de « rébellion ». Il soumit alors les Arméniens à des marches forcées et à la déportation vers le désert syrien, ce qui déboucha sur un génocide au cours duquel des centaines de milliers d’Arméniens furent abattus par des soldats et des bandes armées, ou périrent de maladie et de faim.
Ce processus s’accompagna de la confiscation systématique des biens arméniens, qui continua après la fondation de la République turque en 1923. Selon le recensement ottoman de 1914 [1] , on comptait environ 1,2 million d’Arméniens vivant en Anatolie ; à la suite de ce nettoyage ethnique, leur nombre fut réduit à 77 000 lors du recensement turc de 1927 [2].
18. Avec la défaite décisive de l’Empire ottoman dans la guerre, les puissances impérialistes entreprirent de redessiner les frontières du Moyen‑Orient et de se partager la région. Le territoire de l’Empire ottoman, déjà réduit avant la guerre au statut de semi‑colonie de l’impérialisme allemand, fut occupé par les forces britanniques, françaises et italiennes en vue de sa colonisation. Cependant, le principal État que les forces nationalistes dirigées par Mustafa Kemal Atatürk allaient affronter directement dans la guerre d’indépendance, entre 1919 et 1922, fut la Grèce, qui envahit l’Anatolie en tant que force mandataire de l’impérialisme britannique.
19. La victoire de la guerre de libération nationale en Anatolie et la fondation de la République turque en 1923 furent un produit direct de la Révolution d’Octobre 1917. Au cœur de la catastrophe de la guerre, le régime bolchevique instauré en Russie inspira les travailleurs et les peuples opprimés du monde entier et donna une impulsion décisive à leurs luttes. Sans cet événement fondateur de l’histoire mondiale et sans le soutien direct du gouvernement soviétique, la victoire du mouvement de libération nationale en Turquie n’aurait pas été possible.
La Turquie devint également un terrain d’essai important pour la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Toute l’expérience turque allait constituer une puissante confirmation de cette théorie — mais au sens négatif.
20. En 1920, le Parti socialiste ouvrier de Grèce‑Communiste (SEKE‑K, rebaptisé Parti communiste de Grèce, KKE, en 1924), qui avait proclamé son adhésion à la Troisième Internationale, tenta de mobiliser l’opposition parmi les soldats grecs à travers une propagande anti‑occupation, en dénonçant le caractère réactionnaire et impérialiste de l’invasion grecque de l’Anatolie. Parmi les communistes arrêtés au cours de cette lutte héroïque et internationaliste figurait Pandelis Pouliopoulos, qui allait devenir par la suite l’un des fondateurs du mouvement trotskyste grec.[3]
21. Alors que le gouvernement ottoman d’Istanbul collaborait, dans son agonie, avec les puissances impérialistes, des organisations de résistance à l’occupation commencèrent à émerger dans de nombreuses régions d’Anatolie. Dans le même temps, le mouvement de libération nationale en formation se regroupa au sein de la Grande Assemblée nationale, proclamée à Ankara le 23 avril 1920 sous la direction d’Atatürk. La jeune République soviétique, dirigée par Lénine et Trotsky, vint en aide à ce mouvement.
22. La direction bourgeoise nationaliste d’Atatürk mena le mouvement d’indépendance en Anatolie à la victoire en manœuvrant entre les puissances impérialistes et la Russie soviétique, et même entre les puissances impérialistes mêmes, divisées entre elles. Chacune était alors confrontée à de graves crises politiques, économiques et sociales sur son propre sol, ainsi qu’au spectre de la révolution prolétarienne dans le sillage de la Première Guerre mondiale et de la Révolution d’Octobre.
Dans ce processus, la direction kémaliste suivit une voie extrêmement pragmatique, cherchant à concilier les intérêts contradictoires des classes et couches sociales dont elle dépendait. Tout en prétendant sauver le califat et le sultanat, elle n’hésita pas à adopter un vernis «rouge» dans ses négociations avec Moscou. Cependant, à partir de 1922, des mesures telles que l’abolition du sultanat, la proclamation de la République, l’abolition du califat et l’octroi de droits égaux aux femmes représentèrent des avancées historiques que la classe ouvrière devait faire siennes.
23. La guerre d’indépendance en Turquie ne peut être comprise correctement qu’à la lumière des conditions internationales et historiques, et non dans une perspective nationale ou conjoncturelle. L’approche de l’Internationale communiste (Komintern), fondée en 1919 sous la direction de Lénine et Trotsky, à l’égard des nationalités et des colonies constitue à cet égard une base essentielle.
24. Considérant la Révolution d’Octobre de 1917 comme le début de la révolution socialiste mondiale et dirigeant l’Internationale communiste en tant qu’avant‑garde révolutionnaire du prolétariat international, Lénine et Trotski formulèrent une stratégie de révolution la permanente qui unissait le sort de la révolution prolétarienne dans les centres capitalistes à celui de la révolution dans les colonies.
Le Manifeste de l’Internationale communiste, rédigé par Trotsky en 1919, proclamait :
L’affranchissement des colonies n’est concevable que s’il s’accomplit en même temps que celui de la classe ouvrière des métropoles. Les ouvriers et les paysans non seulement de l’Annam, d’Algérie ou du Bengale, mais encore de Perse et d’Arménie, ne pourront jouir d’une existence indépendante que le jour où les ouvriers d’Angleterre et de France, après avoir renversé Lloyd George et Clemenceau, prendront entre leurs mains le pouvoir gouvernemental. Dès à présent, dans les colonies les plus développées, la lutte n’est plus engagée seulement sous le seul étendard de l’affranchissement national, elle prend de suite un caractère social plus ou moins nettement accusé. Si l’Europe capitaliste a entraîné malgré elles les parties les plus arriérées du monde dans le tourbillon des relations capitalistes, l’Europe socialiste à son tour viendra secourir les colonies libérées avec sa technique, son organisation, son influence morale, afin de hâter leur passage à la vie économique régulièrement organisée par le socialisme.
Esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie: l’heure de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme l’heure de votre délivrance. [4]
25. Au IIᵉ Congrès de l’Internationale communiste en 1920, Lénine, s’exprimant au nom de la « Commission sur la question nationale et coloniale », déclara que la caractéristique fondamentale de l’impérialisme était que « le monde entier, comme nous le voyons aujourd’hui, [est] divisé en un grand nombre de nations opprimées et un nombre insignifiant de nations opprimantes, ces dernières possédant une richesse colossale et des forces armées puissantes. »
Il poursuivit ainsi:
En estimant la population totale du globe à un milliard trois quarts, l’immense majorité, comprenant plus d’un milliard et, selon toute probabilité, un milliard deux cent cinquante millions d’êtres humains, c’est-à-dire près de 70 % de la population du globe, appartient aux peuples opprimés, qui ou bien se trouvent placés sous le régime de dépendance coloniale directe, ou bien constituent des États semi-coloniaux, comme la Perse, la Turquie, la Chine, ou encore vaincus par l’armée d’une grande puissance impérialiste se trouvent sous sa dépendance en vertu de traités de paix.[5]
26. Lénine fit le constat suivant: «dans la situation internationale d'aujourd'hui, après la guerre impérialiste, les relations réciproques des peuples et tout le système politique mondial sont déterminés par la lutte d'un petit groupe de nations impérialistes contre le mouvement soviétique et les États soviétiques, à la tête desquels se trouve la Russie des Soviets.» Il ajouta : «Si nous perdons cela de vue, nous ne saurons poser correctement aucune question nationale ou coloniale, quand bien même il s'agirait dit point le plus reculé du monde.» [6]
27. Le caractère complexe des mouvements de libération nationale qui se développaient dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux fut l’un des thèmes essentiels de discussion de la commission. L’appréciation suivante de Lénine sur la nature de la bourgeoisie coloniale devait être confirmée par de nombreux exemples :
Un certain rapprochement s’est fait entre la bourgeoisie des pays exploiteurs et celle des pays coloniaux, de sorte que, très souvent, et peut‑être même dans la majorité des cas, la bourgeoisie des pays opprimés soutenant les mouvements nationaux, est d'accord avec la bourgeoisie impérialiste, c'est‑à‑dire qu'elle lutte avec celle-ci, contre les mouvements révolutionnaires et les classes révolutionnaires. [7]
28. La perspective de Lénine et de Trotsky, qui guida également la politique bolchevique sur la question nationale dans les républiques soviétiques, ne reposait pas sur la création d’États‑nations bourgeois indépendants, mais sur la révolution socialiste internationale et la constitution d’une fédération socialiste mondiale. Comme l’affirmait Lénine :
Partout où les conditions le permettent, les partis communistes doivent immédiatement s’efforcer de mettre en place des soviets de travailleurs.
…La question se posait ainsi : pouvons‑nous considérer comme juste l'affirmation que le stade capitaliste de développement de l'économie est inévitable pour les peuples arriérés, actuellement en voie d'émancipation et parmi lesquels on observe depuis la guerre un mouvement vers le progrès ? Nous y avons répondu par la négative. Si le prolétariat révolutionnaire victorieux mène parmi eux une propagande systématique, si les gouvernements soviétiques les aident par tous les moyens à leur disposition, on aurait tort de croire que le stade de développement capitaliste est inévitable pour les peuples arriérés. [8]
29. La perspective tracée par Lénine dans son discours fut développée dans la résolution adoptée au IIᵉ Congrès. S’appuyant sur les thèses rédigées par Lénine, elle réaffirma la stratégie de la révolution internationale et souligna l’impossibilité d’éliminer complètement l’oppression nationale sous le capitalisme :
Il résulte de ces thèses essentielles qu’à la base de toute la politique de l’Internationale communiste dans les questions nationale et coloniale doit être placé le rapprochement des prolétaires et des masses laborieuses de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte révolutionnaire commune en vue de renverser les propriétaires fonciers et la bourgeoisie. Car seul ce rapprochement garantit la victoire sur le capitalisme, sans laquelle la suppression du joug national et de l’inégalité des droits est impossible. [9]
30. «Quant aux États et nations plus arriérés, où prédominent des rapports de caractère féodal, patriarcal ou patriarcal-paysan» la résolution stipulait que «La nécessité pour tous les partis communistes d’aider [les mouvements révolutionnaires de libération] de ces pays», et déclarait qu’il fallait «lutter résolument contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés». [10]
31. Les partis communistes reçurent pour tâche de soutenir le mouvement national dans les colonies, tout en ne compromettant jamais leur indépendance politique et organisationnelle :
l’Internationale communiste doit conclure une alliance temporaire avec [le mouvement révolutionnaire] des colonies et des pays arriérés, et [même former une alliance avec eux], mais elle ne doit pas fusionner avec eux, et [doit] maintenir fermement l’indépendance du mouvement prolétarien, même sous sa forme la plus embryonnaire. [11]
32. Le contexte international dans lequel se développa la guerre de libération nationale en Turquie était celui d’un mouvement ouvrier révolutionnaire international, mis en branle par la Révolution russe. En 1921, au IIIᵉ Congrès de l’Internationale communiste, la situation fut décrite comme suit :
En mars 1917, le tsarisme est renversé. En mai 1917, orageuse lutte gréviste en Angleterre. En novembre 1917, le prolétariat russe s’empare du pouvoir de l’État. En novembre 1918, chute des monarchies allemande et austro-hongroise. Le mouvement gréviste s’empare de toute une série de pays européens et se développe particulièrement au cours de l’année suivante. En mars 1919, la République Soviétique est installée en Hongrie. Vers la fin de la même année, les États-Unis sont ébranlés par les formidables grèves des métallurgistes, des mineurs et des cheminots. En Allemagne, après les combats de janvier et de mars 1919, le mouvement atteint son point culminant, au lendemain de l’émeute de Kapp, en mars 1920. En France, le moment de la plus haute tension de la vie intérieure arrive au mois de mai 1920. En Italie, le mouvement du prolétariat industriel et rural s’accroît sans cesse et mène en septembre 1920 à la mainmise par les ouvriers sur les usines, les fabriques et les propriétés foncières. Le prolétariat tchèque, en décembre 1920, saisit l’arme de la grève générale politique. En mars 1921, soulèvement des ouvriers de l’Allemagne centrale et grève des ouvriers mineurs en Angleterre…En Asie et en Afrique, il suscite ou renforce l’indignation révolutionnaire des nombreuses masses coloniales. [12]
33. «Cette puissante vague ne réussit pourtant pas à renverser le capitalisme mondial, ni même le capitalisme européen.» [13] Cela ne fut pas dû au fait que les masses laborieuses n’étaient pas prêtes à lutter pour la révolution, mais à la trahison des partis sociaux‑démocrates de la Deuxième Internationale:
Au cours des deux années et demie écoulées depuis la guerre, le prolétariat des différents pays a manifesté tant d’énergie, tant de disposition à la lutte, tant d’esprit de sacrifice, qu’il aurait pu suffire largement à sa tâche et accomplir une révolution triomphante s’i1 s’était trouvé à la tête de la classe ouvrière un parti communiste international, bien préparé et fortement centralisé. Mais diverses causes historiques et les influences du passé ont placé à la tête du prolétariat européen, pendant la guerre et depuis, l’organisation de la IIe Internationale, qui est devenue et qui reste un instrument politique inappréciable aux mains de la bourgeoisie. [14]
34. Au moment où l’impérialisme britannique, français et italien sortait victorieux de la Première Guerre mondiale, et où les forces grecques et arméniennes qu’ils utilisaient comme supplétifs s’emparaient des Détroits et d’une grande partie de l’Anatolie, les grandes puissances se trouvaient divisées entre elles par des querelles sur le partage impérialiste. À cela s’ajoutait leur défaite imminente dans la guerre civile russe — qu’elles avaient déclenchée pour détruire le jeune État ouvrier en envahissant le territoire soviétique et en soutenant l’Armée blanche contre‑révolutionnaire — ainsi que la menace de la révolution sociale dans leurs propres pays.
35. Dans ces conditions, l’occupation formelle d’Istanbul par l’Entente en mars 1920 et le traité de Sèvres, signé par le gouvernement ottoman en août 1920 — qui prévoyait le démembrement de l’Anatolie et la cession à la Turquie d’un territoire réduit — donnèrent une puissante impulsion au mouvement de libération nationale qui se développait dans tout le pays. Ce mouvement d’indépendance nationale, né dans un pays opprimé et semi‑colonial, devait également jouer un rôle progressif en faisant barrière à une offensive impérialiste majeure dirigée contre le jeune État ouvrier, le cœur de la révolution socialiste mondiale, à travers les Détroits et par le sud des républiques soviétiques.
36. À la même époque, en Turquie comme ailleurs, diverses organisations communistes, inspirées par la Révolution d’Octobre, se développaient. Le Parti communiste de Turquie (TKP), fondé dans la clandestinité à Ankara durant l’été 1920, déclara son allégeance à la Troisième Internationale et formula ainsi son objectif :
Un parti communiste, c’est‑à‑dire bolchevique, a été fondé en Turquie afin de faire en sorte que la révolution mondiale — qui apportera prospérité et bonheur à toute l’humanité — se réalise en Turquie le plus rapidement possible et y instaure le socialisme. Le TKP luttera de toutes ses forces pour la libération de toutes les nations et de toutes les classes opprimées de l’exploitation du capitalisme et de l’impérialisme. [15]
37. Les communistes turcs établis dans les républiques soviétiques, qui travaillaient directement avec les bolcheviks, organisèrent en octobre 1920 à Bakou le congrès fondateur du TKP, avec la participation de délégués représentant quinze cercles communistes. Mustafa Suphi fut élu président du TKP. Dans le programme adopté à ce congrès, auquel assistaient également des représentants du Komintern, on expliquait que le capitalisme industriel, l’urbanisation et le prolétariat étaient sous‑développés en Turquie, et on déclarait: «En Turquie, pays qui a mis le pied dans la démocratie bourgeoise sous sa forme et son style de gouvernement actuels, la lutte des classes en est à sa période primitive de développement.» [16]
38. À propos du mouvement de libération nationale qui se développait en Anatolie, le TKP déclarait :
Aujourd’hui, la participation des classes pauvres au soulèvement national en Turquie contre les États de l’Entente victorieux et pillards se caractérise par le fait de combattre aux côtés de «l’ennemi de l’ennemi», c’est‑à‑dire aux côtés de la petite bourgeoisie profiteuse et usurpatrice dans le pays.
Ainsi, la poursuite de ce conflit dirigé contre les impérialistes d’une part, et d’autre part la propagation de la révolution sociale en Europe, eut un impact considérable sur le développement et le renforcement de la conscience de classe. Cela contribua à donner aux mouvements en Turquie un caractère social et à préparer les conditions de l’instauration d’une république de conseils ouvriers et paysans sur la base du socialisme.[17]
39. Le programme du TKP déclarait ainsi à propos de la question nationale en Turquie :
Le Parti accepte la formation d’une république de conseils ouvriers et paysans regroupant diverses nations et préfère la méthode fédérative sur la base de «l’union libre de nations libres». Afin d’éviter des conflits sanglants entre des nations dont les classes ouvrières et paysannes sont elles aussi captives de la tentation de vivre complètement séparées et indépendantes, le parti préconise le règlement de ces questions par plébiscite ou suffrage universel. [18]
40. Le Comité central du TKP, dans son «Rapport sur le premier congrès», soulignait qu’il soutenait le gouvernement d’Ankara conformément à la résolution de l’Internationale communiste, mais que son devoir essentiel était de préserver l’indépendance du parti, déclarant :
Conformément à la décision du deuxième congrès de la Troisième Internationale visant à soutenir et à renforcer les mouvements nationaux contre l'impérialisme, le congrès [du TKP] soutient les mouvements anatoliens, mais considère la préservation de l'indépendance du parti comme l'une de ses tâches les plus importantes et fondamentales.[19]
Le TKP décida de transférer son siège en Turquie afin «d'aider à approfondir ce mouvement contre l'impérialisme en Anatolie et, d'autre part, de préparer le terrain pour la réalisation du pouvoir ouvrier, qui est l'objectif principal et l'aspiration du peuple travailleur» [20]. Le massacre ultérieur de la direction du TKP en mer Noire, les 28‑29 janvier 1921, ainsi que la persécution des communistes, exprimèrent la volonté de la bourgeoisie d’écraser violemment toute menace politique indépendante émanant de la classe ouvrière, dans les conditions d’une révolution socialiste mondiale en plein développement.[21]
41. Tout en soutenant la guerre de libération nationale, le TKP continua de mettre en lumière la volonté de la bourgeoisie de parvenir à un compromis avec l’impérialisme et son incapacité à mener à terme la révolution démocratique. La résolution adoptée au congrès réuni en août 1922 déclarait:
Le TKP apportera toute l’aide possible au mouvement de libération nationale, à la lutte armée sur les fronts. En outre, il expliquera sans relâche aux larges masses populaires que la bourgeoisie cherche à éteindre le mouvement de libération nationale en concluant des compromis avec les cercles réactionnaires, avec les étrangers, avec les impérialistes, et à empêcher que cette guerre ne s’élève jusqu’à une profonde révolution démocratique, dévoilant ainsi le véritable visage de la bourgeoisie.[22]
42. La persécution des communistes par le gouvernement d’Ankara, qui se poursuivit tout au long de la guerre, s’accentua après la défaite décisive des forces grecques soutenues par la Grande‑Bretagne en août 1922, et avec le développement de conditions favorables à un certain rapprochement avec les puissances impérialistes occidentales (des accords avaient déjà été conclus avec la France et l’Italie). Le régime kémaliste considérait que la réconciliation avec l’impérialisme et l’instauration du pouvoir bourgeois exigeaient la répression violente du mouvement ouvrier et du mouvement communiste, encore à ses débuts mais soutenu par l’Union soviétique et la Troisième Internationale.
43. La « Lettre ouverte aux communistes et aux masses ouvrières de Turquie », présentée par le délégué du TKP Orhan (Sadrettin Celal Antel) et adoptée à l'unanimité lors du quatrième congrès de l'Internationale communiste en 1922, affirmait que les ouvriers et les paysans de Turquie avaient fourni « l'exemple vivant d'un mouvement d'indépendance révolutionnaire », mais que le gouvernement bourgeois nationaliste d'Ankara était « prêt à s'entendre avec les impérialistes en échange de certaines concessions favorables à la grande bourgeoisie turque »[23].
Tout en protestant contre la persécution subie par le TKP et la fermeture de l’organisation ouvrière à Istanbul, la lettre déclarait: «Le Parti communiste de Turquie a toujours soutenu le gouvernement national bourgeois dans la lutte des masses laborieuses contre l’impérialisme. » Et ajoutait : « Le Parti communiste turc a même prouvé, face à l'ennemi commun, qu'il était prêt à faire des sacrifices temporaires en ce qui concerne son programme et ses idéaux. »[24]
La lettre ouverte déclarait au sujet du gouvernement d'Ankara :
Ils veulent se débarrasser des représentants de classe conscients de la classe ouvrière et de la paysannerie, qui exigeront la réalisation des promesses de réformes démocratiques faites pour obtenir notre soutien, et apparaître à la conférence de Lausanne comme un véritable gouvernement bourgeois. … En préparation d’un accord avec l’impérialisme, le gouvernement nationaliste veut anéantir vos véritables représentants et les séparer de vos amis à l’extérieur. [25]
Puis, elle déclarait:
Le quatrième congrès de l'Internationale communiste proteste énergiquement contre cet acte barbare et considère qu'il est de son devoir de déclarer solennellement qu'il est prêt à soutenir tout gouvernement ou parti politique qui ne joue pas le rôle de gendarme de l'impérialisme, qui poursuivra la lutte contre l'impérialisme et la réaction, et qui mettra en œuvre des réformes démocratiques en faveur des masses ouvrières turques. [26]
44. Au même congrès de l’Internationale communiste, Karl Radek, du Parti bolchevique, déclara dans son discours du 23 novembre :
…même en ce moment de persécution, nous disons aux communistes turcs : n’oubliez pas, dans la situation présente, l’avenir immédiat. La tâche de défendre la souveraineté turque, qui revêt une grande importance révolutionnaire internationale, n’est pas terminée. Vous devez vous défendre contre vos persécuteurs, rendre coup pour coup, mais vous devez comprendre qu’historiquement le moment de la lutte de libération n’est pas encore arrivé ; il vous faudra encore parcourir un long chemin avec les forces révolutionnaires qui commencent seulement à se cristalliser en Turquie.[27]
Les commentaires de Radek sur la Chine représentaient une reprise plus explicite de la théorie menchevique des deux stades de la révolution, une approche qui allait dominer le Komintern et constituer la base politique de la trahison de la révolution chinoise de 1925-1927. Il déclara :
La première tâche des camarades chinois est de se concentrer sur ce dont le mouvement chinois est capable. Camarades, vous devez comprendre qu’en Chine ni la victoire du socialisme ni l’établissement d’une république des soviets ne sont à l’ordre du jour. Malheureusement, même la question de l’unité nationale n’a pas encore été historiquement posée en Chine. Ce que nous vivons en Chine rappelle le XVIIIᵉ siècle en Europe, en Allemagne, où le développement du capitalisme était encore si faible qu’il n’avait pas encore donné naissance à un centre national unificateur. [28]
Cette perspective était diamétralement opposée à la théorie de la révolution permanente qui avait guidé la révolution d'octobre 1917. L'opposition croissante de Trotsky à la politique menée par le Komintern en Chine sous Staline dans les années qui suivirent a certainement été fortement influencée par son expérience en Turquie.
45. En avril 1923, l’un des dirigeants du TKP, Şefik Hüsnü, représentant la tendance à la collaboration de classe avec la bourgeoisie, déclara que trois grandes tendances étaient désormais possibles dans le pays: 1. La tendance kémaliste, «représentée par ceux qui ont fait la révolution actuelle et sont déterminés à la maintenir en vie », 2. La tendance réactionnaire, liée au féodalisme et à la monarchie, et 3. La tendance socialiste, qui visait à intensifier la révolution au bénéfice des masses pauvres d’ouvriers et de paysans ainsi que de la classe moyenne, et à l’achever par une révolution sociale fondée sur la propriété commune. Hüsnü soutenait que le gouvernement kémaliste et les socialistes devaient agir « main dans la main pendant longtemps » contre la « réaction » et « affronter les forces du mal comme un seul corps ». [29]
46. Cependant, la bourgeoisie turque, par sa nature même, était incapable d’accomplir les tâches de la révolution démocratique bourgeoise. Il n’était pas possible pour cette classe de parvenir à une indépendance totale vis‑à‑vis de l’impérialisme, d’établir un régime démocratique, d’apporter une solution radicale à la question agraire au détriment du féodalisme, ou de résoudre la question kurde et les autres problèmes des minorités. Elle ne pouvait pas non plus reconnaître les droits fondamentaux de la classe ouvrière, tels que le droit de s’organiser, de mener des négociations collectives et de faire grève.
Ces tâches ne pouvaient être accomplies que par le prolétariat prenant le pouvoir dans le cadre de la révolution socialiste internationale. Comme l'expliquait Léon Trotsky en 1929 dans La révolution permanente :
Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes. [30]
47. La solution apportée à la question des minorités par les élites dirigeantes turques et grecques, qui cherchaient à consolider leurs États‑nations bourgeois après la guerre, fut l’échange forcé de populations. Plus d’un million de Grecs furent déportés de Turquie vers la Grèce et environ 500 000 Turcs furent déportés de Grèce vers la Turquie.
48. En proclamant la primauté de l’identité ethnique turque, le gouvernement kémaliste entreprit également d’opprimer d’autres minorités musulmanes, en particulier les Kurdes. Les commentaires contenus dans un rapport de la Section orientale de l’Internationale communiste, soumis à Lénine en janvier 1922, comportaient une remarque juste :
L’insurrection kurde [pendant la guerre d’indépendance], le massacre des Arméniens, les violences contre les Grecs constituent les principales étapes de la question nationale en Turquie. Le gouvernement de la Grande Assemblée nationale [à Ankara], cependant, affirme qu’il n’existe pas de question nationale en Turquie. Le mot d’ordre du Congrès de Sivas était : Il ne peut y avoir de droit à l’autodétermination, seulement une autonomie locale. Il semble que ces développements lamentables continueront à orner les pages de l’histoire pour longtemps encore. [31]
49. Le peuple kurde, estimé à environ un cinquième de la population à l’époque, ne se vit pas accorder l’autonomie. Ses droits culturels et politiques furent bafoués et il fut soumis à une répression violente. À Ankara, il y avait également une place pour les seigneurs féodaux kurdes qui acceptaient le pouvoir du régime kémaliste, lequel représentait une alliance entre la bourgeoisie turque émergente et les grands propriétaires fonciers. Dans les années 1920 et 1930, les soulèvements kurdes qui remettaient en cause cet ordre et mobilisaient les paysans pauvres furent réprimés dans le sang, et les Kurdes furent contraints à des déplacements forcés à l’intérieur du pays. Aujourd’hui, le peuple kurde en Turquie, ainsi qu’en Syrie, en Irak et en Iran, se heurte au même problème, car la bourgeoisie était et demeure incapable de résoudre pacifiquement et démocratiquement cette question internationale.
50. La création de la République de Turquie en 1923 était la continuation de la révolution bourgeoise de 1908, qui avait introduit le multipartisme au parlement ottoman dans un système électoral à deux degrés et avait inauguré la Deuxième ère constitutionnelle. Si des mesures progressistes avaient été prises, telles que l'abolition du sultanat et du califat, les objectifs d'«unité nationale» et de «laïcité» restaient inachevés. Ce qui était en jeu n’était pas une laïcité cohérente, mais le contrôle et l’utilisation de l’islam par l’État nouvellement établi. Le même jour où le califat fut aboli, en 1924, fut aussi créée une Direction des affaires religieuses affiliée à l’État.
51. Les racines du caractère autoritaire et antidémocratique du régime actuel en Turquie remontent elles aussi à un siècle. Si le parlement établi en 1920 avait un caractère multi‑politique et fractionnel durant la période de guerre, cela céda la place à un régime de parti unique (le Parti républicain du peuple kémaliste - CHP) qui dura plus de deux décennies après l’établissement de la République en 1923.
52. Clairement orienté vers l’impérialisme occidental mais contraint de manœuvrer entre les puissances impérialistes et l’Union soviétique pour assurer un développement capitaliste partiellement indépendant, et confronté à des factions bourgeoises rivales, et à une classe ouvrière et un mouvement communiste émergents, tout en étant incapable d’établir un contrôle militaire et politique complet au Kurdistan, le régime kémaliste répondit aux problèmes sociaux fondamentaux principalement par la répression d’État.
53. Comme l’expliqua plus tard Léon Trotsky :
Encerclée par le capitalisme décadent et empêtrée dans les contradictions impérialistes, l'indépendance d'un État arriéré sera inévitablement à moitié fictive et son régime politique, sous l'influence des contradictions de classe internationales et de la pression extérieure, tombera obligatoirement dans une dictature contre le peuple – tel est le régime du Parti du Peuple en Turquie, du Guomindang en Chine; demain, celui de Gandhi sera le même en Inde. [32]
Notes
[1] T.C. Genelkurmay Başkanlığı Ankara [Republic of Turkey General Staff in Ankara], Armenian Activities in the Archive Documents, 1914-1918, Vol. I (1914-1915) (Ankara: Genelkurmay ATASE ve Genelkurmay Denetleme Başkanlığı Yayınları, 2005), p. 609.
[2] Fuat Dündar, Türkiye Nüfus Sayımlarında Azınlıklar [Minorities in Turkish Censuses] (İstanbul: Çiviyazıları, 2000), p. 91. “Le chiffre annoncé par l’Église protestante arménienne à l’époque était d’environ 140 000,” ajoute l’auteur.
[3] Voir : David North, « La Quatrième Internationale dans la Seconde guerre mondiale » L’héritage que nous défendons. https://www.wsws.org/fr/special/library/heritage-que-nous-defendons/07.html
[4] Léon Trotsky, «Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste,» 1919-1923. https://classiques.uqam.ca/classiques/Internationale_communiste/Quatre_premiers_congres_IC/Quatre_premiers_congres_IC.pdf (page 109-110).
[5] V.I. Lénine: « II° congrès de l'Internationale Communiste, Rapport de la commission nationale et coloniale » https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/07/vil19200726.htm
[6] Ibid., p. 241.
[7] Ibid., p. 242.
[8] Ibid., p. 243-44
[9] [V. I. Lénine, «Les thèses sur la question coloniale» https://www.marxiste.org/les-theses-de-lenine-sur-la-question-coloniale
[10] Ibid., p. 143.
[11] Ibid., p. 144.
[12] Manifestes, thèses et résolutions du Troisième congrès de l’Internationale communiste Juin 1921 https://www.marxists.org/francais///////inter_com/1921/IC3.pdf
[13] Ibid., p. 6.
[14] Ibid., p. 30.
[15] Cité par Mete Tunçay, Türkiye’de Sol Akımlar (1908-1925), (Ankara: Bilgi Yayınevi, 1978), p. 387.
[16] http://www.tkp-online.org/?q=content/tkp-birinci-program%C4%B1-g%C3%BCn%C3%BCm%C3%BCz-t%C3%BCrk%C3%A7esi
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] TKP MK 1920-1921 Dönüş Belgeleri-1 (İstanbul: TÜSTAV, 2004), p. 19.
[20] Yavuz Aslan, Türkiye Komünist Fırkası’nın Kuruluşu ve Mustafa Suphi (Türk Tarih Kurumu, 1997), s. 227.
[21] Ces assassinats politiques furent discutés dans les rapports des communistes turcs à l’Internationale communiste. Le Groupe communiste d’Istanbul (İKG), qui avait envoyé des délégués au congrès fondateur du TKP à Bakou, déclara ceci dans son “Rapport au Troisième congrès de l’Internationale communiste” daté du 31 mai 1921 (Ethem Nejat, l’un de ces délégués, élu premier secrétaire général du TKP, figurait parmi ceux qui furent tués les 28 et 29 janvier):
… après la décision d’envoyer une mission, les militants du TKP, dont le camarade Mustafa Suphi ainsi que les camarades Nejat et Hakkı du Groupe communiste d’Istanbul (İKG), partirent pour l’Asie Mineure via Kars. Selon les nouvelles qui nous sont parvenues, lorsque cette mission arriva à Erzurum, elle fut confrontée à une manifestation d’injures et de coups organisée par les autorités nationalistes. Ce désordre artificiellement créé servit de prétexte à la décision d’expulser la mission. N’eût été les liens entre le gouvernement d’Ankara et la Russie soviétique, ces camarades auraient été exécutés sur‑le‑champ. D’après les mêmes rapports, que nous n’avons pas pu vérifier, les membres de la mission furent placés sous surveillance et conduits à Trabzon, où, après avoir été insultés et attaqués, ils furent embarqués sur un canot à moteur et immédiatement emmenés hors du port. Depuis, on est sans nouvelles de ces victimes, probablement assassinées par les bourreaux de la bourgeoisie. » (cité dans Erden Akbulut et Mete Tunçay, Türkiye Komünist Partisi'nin Kuruluşu, 1919‑1925, Istanbul, Yordam Kitap, 2020, p. 155).
Süleyman Nuri, l’un des fondateurs du TKP, qui prit la parole lors des discussions sur la «question d’Orient» au Troisième congrès de l’Internationale communiste (22 juin -12 juillet 1921), déclara ceci:
… à la fin de la guerre, tandis que les pachas signaient le traité de Versailles, les ouvriers et les paysans d’Anatolie prirent les armes et se soulevèrent pour leur propre indépendance. Ce mouvement d’indépendance fut dirigé par d’anciens pachas comme Kemal Pacha et d’autres. La tendance et le rôle de Kemal Pacha furent les mêmes que ceux de l’ancien régime turc. D’un côté, le gouvernement d’Ankara menait une lutte armée contre l’Entente, et de l’autre, il s’efforçait d’écraser tout mouvement communiste. La mort de nos camarades, dont le camarade Mustafa Suphi, et les nombreux camarades emprisonnés prouvent que Kemal mena une guerre brutale contre les communistes. [Ibid., p. 157]
[22] Cité par Mete Tunçay, Türkiye’de Sol Akımlar (1908-1925), (Ankara: Bilgi Yayınevi, 1978), p. 277.
[23] Dans: The Communist International 1919-1943 Documents, Vol. 1, p. 380. Choisi et édité par Jane Degras.
[24] Ibid.
[25] Ibid., p. 381
[26] Ibid.
[27] Toward the United Front: Proceedings of the Fourth Congress of the Communist International, 1922, Edité et traduit par John Riddell (Boston: Brill, 2012), p. 730.
[28] Ibid., p. 733.
[29] Cité dans Mete Tunçay, Türkiye’de Sol Akımlar (1908-1925), (Ankara: Bilgi Yayınevi, 1978), p. 324.
[30] Léon Trotsky, «La révolution permanente»
https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revperm/rp10.html
[31] Cité dans Erden Akbulut – Erol Ülker, Komintern, TKP ve Kürt İsyanları (İstanbul: Yordam Kitap, 2022), p. 42.
[32] Léon Trotsky, « Manifeste d'alarme de la IV° Internationale » https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/05/lt19400523m.htm
