70 ans de la Bundeswehr

Dans la tradition de la Wehrmacht hitlérienne, les forces armées allemandes se préparent à la guerre totale.

Le ministre allemand de l'Intérieur, Boris Pistorius (deuxième à gauche), et le président Frank-Walter Steinmeier passent en revue des recrues participant à la cérémonie de serment d'allégeance, un événement central marquant le 70e anniversaire de la Bundeswehr, devant la Chancellerie à Berlin, le mercredi 12 novembre 2025. [AP Photo/Ebrahim Noroozi]

La cérémonie solennelle de prestation de serment devant le Reichstag (Parlement) et les discours du ministre de la Défense Boris Pistorius et du président allemand Frank-Walter Steinmeier (tous deux sociaux-démocrates, SPD) à l'occasion du 70e anniversaire de la Bundeswehr (Forces armées) rappelaient les heures les plus sombres du militarisme allemand. Et soulignaient avec quelles traditions destructrices et quels objectifs de guerre l'impérialisme allemand renoue.

Fait significatif, le même jour, les partis au pouvoir se sont entendus sur une nouvelle loi relative au service militaire prévoyant l'enregistrement obligatoire de tous les jeunes hommes, dans le but de recruter la chair à canon nécessaire aux nouvelles guerres impérialistes.

Quatre-vingts ans après la chute du Troisième Reich et les pires crimes de l'histoire de l'humanité, l'armée règne à nouveau sur la capitale allemande. Lors d'une démonstration martiale – à l'abri des regards – 280 recrues ont défilé entre le Reichstag et la Chancellerie et ont prêté serment solennellement. Le spectacle a été retransmis en direct sur la chaîne de télévision publique ZDF et relayé par les journaux télévisés, avec pour objectif manifeste de répandre l'idéologie militariste au sein de la population. Ces cérémonies publiques de prestation de serment trouvent leur origine dans le militarisme prussien, qui s'est développé sous l'Empire allemand puis a été érigé en culte quasi religieux par le régime nazi.

Dans leurs discours inauguraux, Pistorius et Steinmeier ont cherché à occulter les racines historiques de la Bundeswehr. «Des ombres de notre histoire a émergé une armée, une armée spéciale fondamentalement différente de toutes ses prédécesseures», a affirmé Pistorius, décrivant cette force comme «fermement ancrée dans la démocratie, attachée au droit et à la liberté».

Cette représentation est aussi fausse aujourd'hui qu'elle l'était lors de la fondation officielle de la Bundeswehr, le 12 novembre 1955, dix ans seulement après la capitulation de la Wehrmacht, l'armée d'Hitler, la plus grande machine à tuer de l'histoire. Fait révélateur, à cette époque, l'armée était encore appelée «nouvelle Wehrmacht». Ce n'est qu'en 1956 qu'elle fut officiellement rebaptisée Bundeswehr, un nom qui reflétait sa vocation. Sur les 44 généraux et amiraux nommés avant 1957, tous provenaient de la Wehrmacht d'Hitler, la plupart de l'état-major général de l'armée de terre. En 1959, sur 14 900 officiers de carrière, 12 360 étaient issus de la Wehrmacht et 300 même du corps des officiers supérieurs de la SS.

L’historien militaire Wolfram Wette écrivait en 2011 que cette continuité du personnel avait «lourdement pesé sur la vie interne de l’armée» et que «pendant longtemps, il a existé une tendance non pas ininterrompue, mais néanmoins dominante, à s’orienter vers les traditions d’avant 1945».

Cette évolution s'est intensifiée après la réunification allemande il y a 35 ans. Dès 1991, un général déclarait: «Tout doit être orienté vers le renforcement des capacités de combat de la Bundeswehr.» S'en sont suivies des interventions militaires à travers le monde – au Kosovo, en Afghanistan, au Moyen-Orient et en Afrique – qui, en alliance avec les principales puissances de l'OTAN, ont réduit en ruines des régions entières.

Aujourd'hui, l'orientation vers les traditions de la Wehrmacht n'est plus une simple tendance, mais la politique officielle. L'impérialisme allemand prépare systématiquement une guerre majeure contre la Russie et a lancé le plus important programme de réarmement depuis Hitler. Pistorius a clairement affirmé cette orientation lors de la cérémonie commémorative: l'Allemagne devait désormais «agir avec détermination et sans hésitation», en développant radicalement ses «finances, son équipement et ses infrastructures» et en alignant la Bundeswehr sur la «défense nationale et celle de l'alliance» – un euphémisme pour désigner la création d'une armée pour la guerre totale.

Lors de la conférence de la Bundeswehr une semaine plus tôt, le chancelier Friedrich Merz (démocrate-chrétien, CDU), Pistorius et l'inspecteur général Carsten Breuer, le plus haut gradé militaire, n'avaient laissé aucun doute quant à leurs projets mégalomanes, dont les travailleurs et les jeunes allaient devoir payer le prix fort – en y laissant leurs droits sociaux et démocratiques, et finalement leur vie.

Merz a de nouveau exigé que la Bundeswehr devienne «l'armée conventionnelle la plus puissante de l'Union européenne, comme il sied à un pays de notre taille et de notre responsabilité». Breuer a précisé les dimensions que cela impliquerait: «460 000 soldats – c'est l'objectif final à atteindre.» Cela ferait non seulement de l'armée allemande la plus importante d'Europe, mais constituerait également une violation flagrante du traité «2+4», par lequel l'Allemagne s'est engagée à limiter ses effectifs militaires à 340 000 hommes et à renoncer aux armes nucléaires – un engagement désormais ouvertement remis en question par le gouvernement et les milieux médiatiques.

Breuer a clairement indiqué où mène cette voie: la guerre, la destruction et la mort. Il s’agissait de soldats «combattant en première ligne. Voilà de quoi il s’agit. Il s’agit du front.» À la fin de son discours sur la guerre, il a déclaré: «Pour une Bundeswehr qui combat avec succès […] pour le combat dès ce soir, pour 2029 et 2039, pour une Bundeswehr prête au combat». 

Le nouvel, et ancien, épouvantail, c'est la Russie – cette même puissance contre laquelle l'Allemagne a mené deux guerres mondiales au XXe siècle. Sous le régime nazi, elle a lancé une guerre d'extermination barbare qui a coûté la vie à au moins 27 millions de citoyens soviétiques et a culminé avec l'Holocauste. L'objectif déclaré de Breuer et du gouvernement est d'être à nouveau prêts, d'ici 2029, à mener une guerre contre cette puissance nucléaire stratégiquement centrale et riche en ressources.

Pistorius a réaffirmé son intention de porter le budget de la défense à «environ 153 milliards d'euros d'ici 2029». À ce montant s'ajoutent des centaines de milliards d'euros consacrés aux infrastructures de guerre, sur les 1 000 milliards d'euros de crédits de guerre déjà approuvés. «Les infrastructures sont essentielles à notre capacité de défense», a souligné le ministre de la Défense, appelant à «des voies de transport renforcées», à des «dépôts, casernes, terrains d'entraînement et plateformes logistiques performants».

La priorité absolue était le déploiement des troupes de l'OTAN et de la Bundeswehr sur le flanc est. Pistorius a fièrement annoncé le stationnement permanent de la 45e brigade blindée en Lituanie: «Le message doit être clair: l'Allemagne montre la voie, elle est un modèle pour les nations européennes.» Concernant les 5 000 soldats stationnés sur place, a-t-il déclaré, «nous avons besoin d'équipements et de capacités modernes à tous les niveaux, non pas pour le stockage, mais pour nos hommes et nos femmes sur le terrain. »

Tout cela n'a rien à voir avec la «liberté» ou la «démocratie» mais bien avec les vieux intérêts impérialistes de grande puissance: la domination allemande sur l'Europe et l'imposition violente de ses objectifs économiques et géopolitiques en Europe de l'Est et contre la Russie. L'invasion réactionnaire de l'Ukraine par la Russie en 2022 a été délibérément provoquée par les principales puissances de l'OTAN afin de mettre en œuvre un programme de militarisation totale et de préparation à la guerre.

Pistorius a déclaré ouvertement que la militarisation devait concerner l'ensemble de la société: «Nous voulions, et voulons toujours, rendre la Bundeswehr plus visible dans tout le pays.» Pour le 70e anniversaire, a-t-il affirmé, on ramenait cette visibilité «dans la capitale comme la manifestation et la reconnaissance pour 70 ans de disponibilité, d'efficacité et de loyauté.»

Le fait que le militarisme allemand puisse si agressivement relever la tête s'explique par le soutien unanime de la politique de guerre de la part des partis de l’establishment. Outre l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), parti d'extrême droite dont le gouvernement met en œuvre le programme militariste, les Verts et Die Linke (Parti de gauche) ont eux aussi apporté démonstrativement leur soutien à la Bundeswehr.

Le porte-parole du Parti de gauche, Ulrich Thoden, a remercié les troupes pour leur contribution à la «stabilité et à la défense de la démocratie». La députée écologiste Sara Nanni s'est félicitée d’une nouvelle «chaleur» entre l'armée et la population et a souhaité aux troupes «des responsables politiques courageux voulant entendre parler clair et qui soutiennent les troupes et le pays». Le Parti de gauche et les Verts s'étaient déjà joints aux partis au pouvoir, les démocrates-chrétiens et les sociaux-démocrates, pour approuver les crédits de guerre dans les deux chambres du Parlement.

Le seul parti qui s'oppose au militarisme allemand et à la politique de guerre, et qui exprime l'opposition généralisée parmi les ouvriers et les jeunes, est le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l'égalité socialiste, SGP). Il défend la seule perspective réaliste pour prévenir une troisième guerre mondiale: la construction d'un mouvement socialiste indépendant de la classe ouvrière internationale, qui renversera le système capitaliste de profit – source de la guerre et du fascisme.

(Article paru en anglais le 14 novembre 2025)

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