David Neita a joué un rôle de premier plan au sein de la Workers League (WL, Ligue des travailleurs, prédécesseur du Parti de l'égalité socialiste aux États-Unis) dans les années 1970; il est décédé le 30 octobre à Los Angeles à l'âge de 77 ans. Diagnostiqué dans les années 1980 d'une sclérose en plaques, la santé de Dave s'était considérablement détériorée ces dernières années.
Né à Brooklyn, New York, en janvier 1948, Dave fut un représentant remarquable d'une génération de jeunes Noirs dont l'engagement politique s'est forgé dans le contexte des luttes pour les droits civiques des années 1960 et de la guerre du Vietnam. Les leçons qu'il a tirées de ces deux événements l'ont conduit à rejoindre le mouvement trotskyste à l'automne 1970.
Si Dave respectait l'intégrité de Martin Luther King, il ne croyait pas que le programme réformiste du leader des droits civiques constituât une réponse réaliste, et encore moins adéquate, à la crise de la société américaine. Et bien qu’il ait assisté aux rassemblements où Malcolm X prenait la parole à Harlem et dans le quartier de Bedford-Stuyvesant à Brooklyn, et qu'il respectât l'éloquence de l'orateur, il ne partageait pas le programme ni la perspective nationaliste du mouvement des Black Muslims.
En 1967, Dave fut enrôlé dans l'armée et envoyé au Vietnam. Les expériences traumatisantes de la guerre l'ont profondément marqué physiquement, émotionnellement et politiquement.
Peu après son arrivée au Vietnam, Dave assista à l'interrogatoire d'un prisonnier Viet Cong par un officier de l'armée fantoche sud-vietnamienne. Le prisonnier refusait de parler. Lorsque l'officier pointa son arme sur la tempe du jeune combattant et menaça de l'abattre, celui-ci lui cracha au visage. Seule l'intervention de Dave et d'autres soldats empêcha l'officier sadique de tuer ce combattant. Dès lors, Dave éprouva une profonde empathie pour la lutte menée par les Vietnamiens contre l'impérialisme et la conviction que les États-Unis étaient engagés dans une guerre réactionnaire et vaine.
En janvier 1968, le bataillon de Dave fut déployé à Hué, théâtre des combats les plus acharnés de l'offensive du Têt lancée par l'armée nord-vietnamienne. Dans un premier temps, le bataillon de Dave resta en périphérie de la ville, tandis que les Marines étaient chargés de diriger les efforts américains pour reprendre le contrôle d’Hué.
Dave se souviendrait plus tard avec horreur d'avoir assisté à l'évacuation des corps de centaines de Marines, morts ou blessés, de la zone de combat. Son bataillon reçut ensuite l'ordre de pénétrer dans la ville. À mi-chemin du pont, son meilleur ami, qui se trouvait à quelques mètres seulement devant lui, fut touché par des tirs de mitrailleuse. Dave parvint à le relever et le transporta jusqu'à un hélicoptère pour être évacué. Des années plus tard, lorsqu'il racontait cet événement, Dave pensait que son ami avait péri. Mais en 1977, il fut stupéfait de recevoir une lettre de ce soldat, qui avait été opéré avec succès et avait survécu. Il lui avait fallu des années pour retrouver Dave, à qui il devait la vie.
Bien que n'ayant pas été blessé au combat, la santé de Dave a été fortement affectée par la guerre. Comme tant d'autres soldats américains, il a été exposé à l'agent orange, ce qui a probablement endommagé son système immunitaire et entraîné le développement ultérieur de sa sclérose en plaques.
Peu après son retour du Vietnam, Dave entra en contact avec la Workers League (WL). Sa décision d'adhérer à la WL fut fortement influencée par sa lecture d'une brochure intitulée «Nationalisme noir et théorie marxiste», écrite par Tim Wohlforth, alors secrétaire national de la Workers League. Cette brochure reflétait l'influence déterminante de la Socialist Labour League, section britannique du Comité international de la Quatrième Internationale, sur la WL aux États-Unis. Bien qu’auparavant Dave eût résisté à la politique nationaliste, la Workers League lui apporta une compréhension théorique du rôle de la classe ouvrière internationale dans la lutte pour le socialisme.
En 1973, lorsque la Workers League fit l'acquisition d'une machine à imprimer, Dave fut nommé premier imprimeur. Bien qu'il n'eût pas de formation professionnelle en cela, il acquit les compétences nécessaires pour faire fonctionner la presse et imprimer le Bulletin, qui devint une publication bihebdomadaire en octobre de la même année.
Suite à la défection de Wohlforth de la Workers League, Dave a joué un rôle majeur pour surmonter la crise politique et organisationnelle engendrée par les pratiques destructrices de Wohlforth et de sa compagne, la provocatrice Nancy Fields.
Cependant, vers la fin des années 1970, Dave traversa une période de crise personnelle et politique croissante. Le climat politique de droite de l'époque l'affecta profondément. Un scepticisme de plus en plus marqué quant aux perspectives de révolution aux États-Unis commença à éroder son optimisme habituel. Il ne fait aucun doute que l'un des principaux facteurs de sa désorientation grandissante fut l'abandon par le WRP [Workers Revolutionary Party, le successeur de la SLL] des principes trotskystes qu'il avait si longtemps défendus contre le stalinisme et le révisionnisme pabliste. Dave respectait profondément les dirigeants du WRP, en particulier Gerry Healy et Mike Banda.
Mais leur glorification de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) a engendré chez Dave confusion et désarroi. L'élévation par le WRP du nationalisme bourgeois et de sa «lutte armée» contre l'impérialisme a ébranlé la confiance de Dave dans une perspective fondée sur le rôle révolutionnaire central de la classe ouvrière aux États-Unis et dans les autres pays impérialistes.
La santé déclinante de Dave a certainement aggravé ses difficultés politiques. Les premiers symptômes de ce qui allait finalement être diagnostiqué comme une sclérose en plaques commencèrent à se manifester. Cet homme à la carrure imposante mesurant 1,83 m commença à souffrir d'épisodes récurrents de douleurs et de faiblesse, pour lesquels les médecins ne fournissaient aucune explication claire. Fin 1978, Dave présenta des signes de dépression. À cette époque, la maladie qui allait devenir le trouble de stress post-traumatique (TSPT) était encore mal comprise. Le terme lui-même ne se répandit que dix ans plus tard. De nombreux vétérans ne manifestèrent des signes de détresse psychologique que des années après leur retour du Vietnam, une affection connue sous le nom de TSPT tardif.
En janvier 1979, Dave démissionna de la Workers League.
Dave n'a cependant jamais renié les principes et le programme qu'il avait défendus lorsqu'il était membre. En 1986, après la scission au sein du Comité international, il a contacté la Workers League et a déclaré soutenir la lutte qu'elle menait contre la trahison du trotskysme par le WRP. En octobre 1997, il s'est rendu à Détroit pour assister à une réunion commémorative organisée par le Socialist Equality Party (SEP, Parti de l’égalité socialiste) à l'occasion du 20e anniversaire de l'assassinat de Tom Henehan, qu'il avait connu et qu'il respectait profondément.
Plus tôt cette année, Dave m'a contacté. Il a exprimé avec la plus grande fermeté son indignation et son dégoût face à l'attaque diffamatoire contre Gerry Healy dans la biographie mensongère écrite par l'historien anti-trotskyste Aidan Beatty. Bien que Dave comprît et partageât la lutte menée par le CIQI contre le WRP dans les années 1980, il considérait toujours Healy comme un grand leader ouvrier qui, à son apogée, avait immensément contribué à la construction du mouvement trotskyste.
Nous avons parlé plusieurs fois au téléphone, et Dave a exprimé l'espoir, que je partageais, que nous aurions l'occasion de nous revoir. Malheureusement, l’occasion ne s’est pas presentée.
Plusieurs décennies nous séparent aujourd'hui de l'époque où David Neita était membre de la Workers League, mais sa contribution au parti durant ses années formatrices ne doit pas être oubliée.
(Article paru en anglais le 11 novembre 2025)
