L’installation par Macron d’un second gouvernement sous Sébastien Lecornu en octobre et les négociations budgétaires effrénées qui se déroulent à l’Assemblée nationale démasquent le rôle antidémocratique du Nouveau Front Populaire de Jean-Luc Mélenchon. En bloquant la lutte des classes, le NFP a permis à Macron de continuer à gouverner contre le peuple.
Les négociations du budget 2026 sont en cours, mais ses lignes directrices sont déjà claires. Jusqu’à présent, l’Assemblée a:
- rejeté la taxe Zucman qui aurait imposé les grandes fortunes à la hauteur de seulement 2 pour cent de leur patrimoine;
- approuvé le budget militaire de 64 milliards d’euros, le double de celui quand Macron est arrivé au pouvoir, alors que le chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, veut se préparer à un «choc» militaire avec la Russie d’ici quatre ans en faisant encore croître les dépenses;
- proposé de prendre des dizaines de milliards d’euros aux travailleurs par le gel de retraites et une austérité draconienne visant la Sécu, avec le doublement des franchises médicales et une taxation des médecins qui pourrait provoquer un dérapage des dépassements d’honoraires.
À la rentrée, un million de personnes ont manifesté et une large majorité des Français voulait le départ de Macron et une profonde transformation politique. Les politiques de Lecornu-Macron – le refus de taxer l’aristocratie financière, les appels à l’envoi des troupes en Ukraine, et une politique d’austérité continuant la réforme des retraites en 2023 – sont massivement rejetées. Comment la France se trouve-t-elle avec un gouvernement qui tente d’imposer précisément ces politiques?
Le mécanisme parlementaire a été le vote du PS, composante clé du NFP, pour soutenir le gouvernement minoritaire de Lecornu. Mais le PS n’a pu le faire que grâce à Mélenchon. Quand le PS s’était effondré à moins de 2 pour cent dans les présidentielles de 2022, Mélenchon a sauvé le PS et ses alliés, le PCF stalinien et les Verts, en leur proposant une alliance, appelée d’abord NUPES puis NFP, qui a ensuite englobé les bureaucraties syndicales. Plutôt que détruire politiquement le PS, parti discrédité de l’impérialisme français, Mélenchon l’a protégé.
En même temps, il ne lançait aucun appel à mobiliser les 8 millions de personnes qui ont voté pour lui en 2022, laissant les bureaucraties syndicales ralentir puis stopper les grèves contre Macron. Mélenchon et la direction de son parti, la France insoumise, ont étouffé la lutte des classes en France, alors que grèves et mobilisations de masse contre l’austérité, le militarisme et le génocide à Gaza explosaient en Italie, en Espagne, en Belgique et aux USA.
La marche des événements démasque le mensonge selon lequel Mélenchon défendrait les intérêts du peuple et mènerait une révolution citoyenne. 91 pour cent des Français rejettent les réformes des retraites, et 89 pour cent des habitants d’Europe de l’Ouest rejettent l’appel de Macron à être prêts à envoyer des troupes françaises en Ukraine. Mais la bourgeoisie française continue avec ces politiques contre le peuple grâce au soutien du PS et des directions syndicales, qui dépendent de leur part du soutien de Mélenchon.
L’Assemblée, que Mélenchon proclame être le centre national de sa révolution citoyenne, s’avère être une dictature parlementaire exercée par l’aristocratie capitaliste contre les travailleurs. Alors que la dette de nombreux pays européens continue de s’envoler au-delà de 100 pour cent du PIB, les discussions de la destruction de ce qui reste du modèle social français issu des luttes ouvrières de la Résistance et de l’imposition d’une dictature s’intensifient dans la classe dirigeante.
Le Fonds monétaire international a résumé sans ambages leur perspective. Affirmant qu’une «discussion de l’ampleur et de la durabilité du modèle européen semble être inévitable», le FMI a écrit: «Si des réformes et une consolidation à moyen terme s’avèrent insuffisantes, des mesures fiscales plus radicales sont envisageables: ré-évaluer l’étendue des services publics et d’autres fonctions gouvernementales. Ceci pourrait entamer le contrat social.»
Mais si l’aristocratie capitaliste se prépare à répudier le contrat social, elle se prépare aussi à imposer une dictature pour tenter d’écraser l’opposition ouvrière que cela provoquerait. C’est le sens non seulement de la légitimation du néofascisme à travers l’Europe, mais aussi de l’envoi illégal par Trump de la troupe dans des villes américaines qui lui sont hostiles. D’ailleurs, des formations comme le NFP ne posent aucun obstacle sérieux à cette course vers la dictature.
Auprès de Médiapart, Mélenchon s’est dit assez satisfait, pointant ses résultats à l’Assemblée. Sur l’adoption d’une taxe sur les multinationales pendant les négociations budgétaires, il a déclaré:
C’est la deuxième fois que nous faisons adopter des éléments centraux du contre-budget insoumis à l’Assemblée sans y avoir la majorité. Nous faisons la preuve que notre vision du parlementarisme a une réalité constructive: l’an passé, nous avions déjà dégagé 26 milliards avec l’impôt sur les multinationales comme aujourd’hui. … Mais Lecornu va-t-il respecter le vote acquis par la taxe sur les multinationales?
La complaisance de Mélenchon est flagrante. Si sa dernière question indique la valeur très relative de ses succès à l’Assemblée, il laisse surtout de côté l’impact du budget sur les travailleurs. Ce budget pose le danger non seulement d’une escalade militaire, et notamment d’un conflit ouvert avec la Russie, mais de l’immisération des travailleurs. Mélenchon a enchaîné en spéculant sur une alliance avec la droite pour imposer une VIe République et chasser Macron du pouvoir:
Nous sommes la solution au chaos en demandant son départ et avec notre offre de VIe République. Même à droite, il y a des gens raisonnables qui en parlent. … Il faut vite mettre (Macron) hors d’état de nuire, car il va tout détruire dans la pagaille. Tout le monde voit qu’il fait n’importe quoi au service des ultrariches. Mieux vaudrait que le changement de République se fasse dans la paix civile et par un processus démocratique.
Mélenchon ne défend pas le peuple, il œuvre à la «paix civile» pour bloquer la lutte des classes, et faire passer les éléments décisifs de la politique de Macron avec lesquels le NFP est d’accord. En effet, le programme électoral du NFP proposait de renforcer la police et le renseignement, et d’envoyer des troupes françaises, maquillées en «casques bleus», en Ukraine. Cet accord engageait non seulement le PS et les directions syndicales, mais aussi les populistes petit-bourgeois à LFI.
Alors que les grèves se multiplient en Europe et que les manifestations «No Kings» ébranlent Trump, il est temps de tirer les leçons de l’expérience politique en France. Les appels à défendre la démocratie à travers les rouages parlementaires et syndicaux de l’État capitaliste ont failli. La défense de la démocratie nécessite, comme l’ont toujours expliqué les marxistes, la mobilisation de la classe ouvrière dans une lutte pour le pouvoir et pour le socialisme.
Pour se mobiliser, les travailleurs doivent bâtir des organisations de lutte à la base, indépendamment des appareils syndicaux liés au NFP. Les conquêtes sociales visées par Macron ont été le fruit des luttes résistantes de comités d’usine et de milices ouvrières telles que les FTP contre Vichy et le nazisme. Si la France n’est pas occupée comme pendant les années 1940, il n’en reste pas moins que seule la construction d’un nouveau réseau d’organisations ouvrières, indépendantes des appareils syndicaux, peut briser l’obstacle posé par les forces bureaucratiques du NFP.
Pour engager la lutte pour bâtir de telles organisations, la classe ouvrière a besoin d’une avant-garde révolutionnaire trotskyste, inconciliablement hostile envers l’opportunisme et la veulerie du NFP. Cette avant-garde est le Parti de l’égalité socialiste, section française du Comité international de la IVe Internationale. Appelant les travailleurs en France à rejoindre la construction de l’International Workers Alliance of Rank-and-File Committees (Alliance ouvrière internationale des comités de la base), il appelle à tous ceux qui soutiennent cette perspective à le rejoindre.
