Perspective

Alan Gelfand: un combattant du socialisme et de la vérité historique

Alan Gelfand en 2013 [Photo: David North/WSWS]

Alan Gelfand, dont le procès contre le gouvernement américain avait permis de révéler la présence d'agents de haut niveau du FBI et de la police secrète soviétique au sein du SWP (Socialist Workers Party) est décédé mercredi 29 octobre à Los Angeles. Il avait 76 ans.

Alan est décédé des suites d'un cancer. Un lymphome non hodgkinien lui avait été diagnostiqué en 1986. Un traitement de radiothérapie intensif l'avait guéri. Cependant, les séquelles à long terme de cette radiothérapie ont entraîné, en début d'année, une récidive du cancer. Alors que son état de santé se détériorait, Alan a donné des instructions quelques jours avant sa mort pour que tous les traitements visant à prolonger sa vie soient interrompus.

Jusqu'à ses derniers instants, Alan conserva toute sa lucidité. Acceptant sa mort imminente avec calme et dignité, il exprima sa satisfaction quant au cours de sa vie, dont cinquante ans avaient été consacrés à la lutte pour le socialisme. Sa haine de l'injustice et sa défense inébranlable des droits démocratiques et de l'égalité s'exprimèrent non seulement dans ses convictions politiques, mais aussi dans sa carrière d'avocat commis d'office à Los Angeles. Son talent d'avocat sauva d'innombrables accusés d'une condamnation injuste. Farouche adversaire de la peine de mort, il ne laissa aucun de ses clients tomber entre les mains des bourreaux de l'État de Californie.

Le procès intenté par Alan en juillet 1979, connu sous le nom d’Affaire Gelfand, faisait suite à son exclusion du SWP en janvier de la même année. Cette exclusion était due à ses efforts pour obtenir des réponses aux questions qu'il avait soulevées concernant les preuves indiquant que celui qui avait été longtemps dirigeant de cette organisation, Joseph Hansen, avait rencontré secrètement la police secrète soviétique (la GPU) en 1938 et le FBI après l'assassinat de Trotsky en 1940. Gelfand avait également recherché une explication pour la défense acharnée par Hansen et le SWP de Sylvia Franklin (née Callen, nom de parti Caldwell), la secrétaire particulière du fondateur du parti, James P. Cannon, malgré les preuves accablantes qu'elle avait été une agente de la GPU.

Gelfand adhéra au SWP en 1976 et devint un membre influent de sa section du sud-est de Los Angeles. Il fit part de ses inquiétudes aux dirigeants du parti, notamment au secrétaire national Jack Barnes, en août 1977, après avoir étudié des documents diffusés par la Workers League, la section américaine du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), au congrès national du SWP à Oberlin. Ces documents avaient été découverts par le CIQI au cours de son enquête sur l'assassinat de Léon Trotsky et la pénétration de la Quatrième Internationale par la GPU. Malgré les assurances de Barnes que des réponses à ses questions lui seraient bientôt apportées, Gelfand ne reçut aucune autre réponse de la direction du SWP.

Le 23 janvier 1978, Gelfand tenta d'exprimer ses préoccupations lors d'une réunion de sa section locale, mais on lui fit immédiatement remarquer qu'il n'avait pas la parole et on le réduisit au silence avant même qu'il ait pu terminer la première phrase de sa déclaration préparée. Six jours plus tard, Gelfand adressa une lettre à Barnes et au Comité politique du SWP, protestant contre la censure dont il était victime de la part de la direction de la section et de Peter Camejo, organisateur pour la ville de Los Angeles et représentant important du SWP.

N’ayant reçu aucune réponse à cette lettre et à une seconde adressée au Comité politique, Gelfand écrivit une lettre au Comité national du SWP, datée du 26 mars 1978. Elle commençait ainsi:

Je considère la rédaction de cette lettre comme la tâche la plus importante que j'aie entreprise de toute ma vie. Elle est le fruit d'une étude approfondie et intensive de l'histoire et des principes de notre mouvement. Cette étude a été initialement motivée par une série d'événements qui ont débuté à Oberlin lors de notre congrès cet été.

À ce congrès, j'ai été profondément préoccupé par des documents gouvernementaux publiés dans le numéro du 5 août 1977 du Bulletin, distribué par la Workers League. Ces documents indiquaient clairement que Joseph Hansen avait sollicité et obtenu une relation confidentielle avec le FBI.

Gelfand a ensuite retracé la chronologie des manquements de la direction du SWP, qui n'avait pas répondu à ses questions comme promis par Barnes. Il a également critiqué l'attitude de Camejo, qui, en réponse aux questions de Gelfand, criait à plusieurs reprises: «Qui s'en soucie? Qui s'en soucie?»

Gelfand écrivit:

Eh bien, camarades, la longueur de cette lettre et les recherches que j'ai menées témoignent clairement de ce que je m’en soucie énormément. Je me préoccupe de la machine à tuer de la GPU qui a massacré des trotskystes dans le monde entier et qui, aujourd'hui encore, poursuit son rôle contre-révolutionnaire en réprimant les dissidents en Union soviétique et en Europe de l'Est.

Je me soucie aussi du FBI. Le FBI a piégé et emprisonné 18 de nos camarades les plus éminents dans les années 1940. Le FBI, qui a infiltré tous les mouvements progressistes de ce pays, y compris le nôtre, et qui a joué un rôle actif dans les assassinats de Malcolm X, Martin Luther King et de nombreux Black Panthers.

La lettre de Gelfand exigeait des réponses aux questions suivantes: 1. «Sylvia Franklin, secrétaire particulière de James P. Cannon, était-elle une agente de la GPU?» 2. «Joseph Hansen était-il autorisé par le SWP à avoir des contacts personnels avec la GPU en 1938?» 3. «Joseph Hansen était-il autorisé par le SWP à rencontrer le FBI en 1940?»

Gelfand, avocat exceptionnel de l’aide juridictionnelle, bien connu et respecté à Los Angeles pour l’attention méticuleuse qu’il apportait aux faits, a étayé ses questions par un examen détaillé des documents et des preuves connexes mises au jour par l'enquête ‘La Sécurité et la Quatrième Internationale’. En conclusion, Gelfand écrivit:

Je suis convaincu que toute lecture objective de ma lettre, on conclura que Sylvia Franklin était une agente de la GPU et que les relations de Joseph Hansen avec le GPU et le FBI sont, à tout le moins, hautement suspectes et nécessitent un examen immédiat et approfondi.

Quiconque lit les réponses de Hansen à ces accusations ne peut que conclure que ses «réponses» sont truffées d'esquives, de déformations et de contrevérités.

Dans une lettre datée du 7 avril 1978, Larry Seigle, membre du comité politique du SWP, n'a répondu à aucune des questions posées par Gelfand. Il l’a en revanche menacé et lui a donné un avertissement:

Vous nous avez demandé notre avis sur la manière de porter plainte contre Joe Hansen. La réponse est simple: le Parti ne peut ni ne veut tolérer les fausses accusations de la présence d’agents en son sein. Aucune nouvelle diffusion par vos soins des calomnies des healystes [référence à Gerry Healey, dirigeant du Workers Revolutionary Party britannique] ne sera tolérée...

Nous le répétons: toute nouvelle tentative de votre part de diffuser des calomnies contre Joe Hansen ou tout autre membre du parti constituerait une violation des principes d'organisation du Parti, et nous ne la toléreront pas.

Pendant cette période, le SWP menait une action en justice, principalement à des fins de publicité et de collecte de fonds, concernant l'infiltration massive d'agents et d'informateurs par le FBI dans les années 1960 et au début des années 1970 durant son tristement célèbre programme COINTELPRO. Le SWP n'a ni cherché ni obtenu l'identité d'un seul agent.

Le 18 décembre 1978, Gelfand déposa un mémoire d'amicus curiae («ami de la cour») en soutien à la plainte du SWP. Cependant, contrairement à l'entreprise propagandiste et non sérieuse du SWP, le mémoire de Gelfand demandait à la Cour d'appel de contraindre le procureur général des États-Unis à «divulguer les noms de tous les informateurs du SWP, anciens et actuels».

Furieux de la demande de Gelfand d'identifier ses agents au sein du SWP, Jack Barnes porta plainte le 5 janvier 1979, exigeant l'exclusion de ce dernier. Une semaine plus tard, le 11 janvier, le Comité politique exclut Gelfand. Joseph Hansen, présent à la réunion, décéda une semaine plus tard. On ne donna pas à Gelfand la possibilité de comparaître devant le Comité politique pour se défendre.

En réponse à son expulsion, dans une lettre adressée au Comité politique datée du 29 janvier 1979, Gelfand a déclaré qu'il avait été «purgé, et non expulsé, et que cette mesure avait été prise par le gouvernement, et non par le SWP».

Le 18 juillet 1979, Gelfand a déposé une plainte pour violation des droits civiques devant un tribunal de district américain à Los Angeles. Le procureur général des États-Unis, le FBI, la NSA (Agence nationale de Sécurité) et la direction du SWP étaient cités comme défendeurs. Gelfand soutenait qu’il avait été expulsé du SWP par des agents du gouvernement américain en violation de son droit constitutionnel à la liberté d’expression et d’association politique.

Le SWP a immédiatement déposé une requête en irrecevabilité. Lors d'une audience le 19 novembre 1979 devant la juge Mariana R. Pfaelzer du tribunal de district des États-Unis, Gelfand a exposé les fondements juridiques de son argumentation:

Je soutiens que le gouvernement, par son infiltration, a non seulement tenté de dénaturer les valeurs que ce parti politique est censé représenter, mais que lorsque des membres comme moi tentent d’enquêter sur cette infiltration, on nous ordonne de nous taire, et si nous insistons, nous sommes exclus. Nous n'avons pas la possibilité de promouvoir efficacement nos idées politiques au sein de notre parti car le gouvernement, par l'intermédiaire de ses agents, nous en empêche, et c'est là l'essentiel de mon argument fondé sur le Premier Amendement.

Sept mois plus tard, le 27 juin 1980, la juge Pfaelzer a rendu une ordonnance rejetant la requête du SWP visant à faire rejeter la plainte de Gelfand. Dans une décision détaillée confirmant l'argument juridique principal de Gelfand, la juge Pfaelzer a écrit: «Il est clair que la manipulation et la prise de contrôle du parti politique du plaignant par le gouvernement constituent une atteinte grave aux droits d'association de ses membres et ne peuvent être considérées comme constitutionnelles.»

Par ailleurs, contredisant les fausses allégations du SWP selon lesquelles Gelfand voulait que le gouvernement détermine qui pouvait être membre du parti, Pfaelzer a écrit: «le gouvernement ne peut exclure un membre du parti politique de son choix, que ce soit directement ou indirectement.»

La juge Pfaelzer a conclu son ordonnance en avertissant que «si Gelfand est incapable d'étayer ses allégations d’intervention et de contrôle gouvernementaux, ses prétentions ne résisteront pas à une requête en jugement sommaire». Autrement dit, l'affaire serait classée sans suite avant le procès si Gelfand ne parvenait pas, au cours de la phase de communication de documents, à étayer ses allégations.

Pendant les 18 mois suivants, le SWP a cherché à empêcher Gelfand de rassembler des preuves au moyen de requêtes frivoles en jugement sommaire avant même que le tribunal ne l'ait autorisé à utiliser efficacement la procédure de communication de documents.

Le 1er février 1982, Pfaelzer accorda finalement à Gelfand 90 jours pour procéder à la découverte des éléments de preuve avant une audience finale sur le jugement sommaire, qu'elle fixa au 12 juillet 1982. Au cours des trois mois qui suivirent, Gelfand et ses avocats entreprirent un processus intensif de découverte d’éléments de preuve, qui comprenait des dépositions du secrétaire national du SWP, Jack Barnes, d'autres membres importants de l'organisation et de membres du parti actifs à la fin des années 1930 et au début des années 1940.

Gelfand chercha également à obtenir une déposition de Mark Zborowski, agent notoire de la GPU, qui joua un rôle central dans les assassinats de membres éminents de la Quatrième Internationale en 1937 et 1938, dont celui de Léon Sedov, le fils de Trotsky. Zborowski fut effectivement convoqué dans une salle d'interrogatoire en avril 1982. Mais, invoquant, avec la collaboration active du SWP et du gouvernement américain, la loi alors récemment adoptée sur la protection de l'identité des agents du renseignement, il put se soustraire aux questions.

Néanmoins, les preuves recueillies par Gelfand au cours des 90 jours d'instruction, présentées dans un mémoire déposé le 28 juin 1982 en opposition à la dernière requête en jugement sommaire du SWP, ont corroboré ses allégations de contrôle gouvernemental sur le SWP. Les dépositions de membres du SWP, dont d'anciens dirigeants du parti au moment de l'assassinat de Trotsky, ont établi de manière concluante que ni les rencontres de Hansen avec la GPU ni celles avec le FBI n'étaient connues ni autorisées. Les alibis de Hansen étaient des mensonges. De même, les affirmations de Barnes et d'autres dirigeants d’alors du SWP selon lesquelles les questions de Gelfand avaient trouvé réponse étaient tout aussi fausses.

Le premier paragraphe s'opposant à la requête en jugement sommaire indiquait:

Des preuves substantielles, fruit de quatre-vingt-dix jours d'enquête intensive, étayent fortement l'affirmation d'Alan Gelfand que la direction du Socialist Workers Party (SWP) agissait pour préserver ses liens secrets avec le gouvernement des États-Unis lorsqu'il fut sommairement exclu du parti en 1979. Ses investigations persistantes sur l'infiltration du Parti par le gouvernement ont provoqué une crise parmi les agents présents dans sa direction et les ont contraints à agir d'une manière fondamentalement inconciliable avec leur rôle de fervents défenseurs de la constitution du parti et de loyaux gardiens de la tradition socialiste.

Le résumé précisait en outre:

Les agents peuvent, peut-être avec trop de succès, dissimuler leur duplicité pendant de longues périodes, mais inévitablement, lorsqu'ils perçoivent une menace directe pour leur rôle, le masque sera mal ajusté. Cette affaire repose donc sur l'étude minutieuse des agissements des défendeurs. Leur conduite doit être interprétée non pas comme celle d'individus ordinaires, mais à la lumière de ce qu'ils prétendent être: les plus fidèles défenseurs et adeptes de la politique hautement principielle de Trotsky. Une direction légitime n'aurait eu aucune difficulté à répondre aux questions du plaignant, conformément aux statuts du SWP et aux traditions qu'il affirme représenter. Ces questions auraient reçu une réponse franche et aussi complète que possible. Au lieu de quoi, les questions persistantes mais appropriées du plaignant concernant la sécurité du parti ont provoqué une crise parmi les agents et les ont contraints à dévoiler leur jeu.

Le 12 juillet 1982, la juge Pfaelzer, bien que clairement irritée et surprise par l'ampleur et l'intensité de l'utilisation de la procédure de découverte de preuves par Gelfand, a rejeté la requête en jugement sommaire du SWP et a fixé la date du procès.

Au cours des mois suivants, entre le rejet de la requête en jugement sommaire et le procès de mars 1983, Gelfand et ses avocats ont continué de lutter pour obtenir des documents relatifs aux rapports de Joseph Hansen avec la GPU et au véritable rôle de la secrétaire personnelle de Cannon, Sylvia Callen, alias Caldwell ou Franklin.

Dans les semaines précédant l'ouverture du procès, Gelfand a demandé au tribunal fédéral de New York d'autoriser la publication, des décennies avant le délai normal de 75 ans, des témoignages de Callen devant les grands jurys fédéraux en 1954 et 1958. En réponse à la requête de Gelfand, le tribunal de New York a ordonné que les transcriptions soient envoyées à Pfaelzer pour qu'elle prenne une décision quant à leur publication.

Le procès s'est ouvert le 2 mars 1983 et a duré une semaine. Alors que les témoignages discréditaient clairement la version des défendeurs du SWP, la juge Pfaelzer a convoqué les avocats dans son cabinet pour en discuter. Elle a présenté une interprétation de la «prépondérance de la preuve» – le niveau de preuve requis pour obtenir gain de cause dans un procès civil – totalement dénuée de fondement juridique. En règle générale, la prépondérance de la preuve signifie que la partie dont la version des faits est la plus crédible l'emporte au procès. Après avoir examiné les preuves, le juge du fond – en l'occurrence, la juge – doit déterminer si la balance penche en faveur du plaignant ou du défendeur.

Pfaelzer a toutefois,déclaré que Gelfand ne pouvait pas obtenir gain de cause simplement parce que son explication de la décision des dirigeants du SWP de l'expulser était plus crédible que celle des accusés. En effet, tant que le SWP serait en mesure de présenter une explication de ses actions, aussi absurde et dénuée de fondement soit-elle, Gelfand ne pourrait pas faire valoir la prépondérance des preuves. Dans une déclaration extraordinaire, Pfaelzer a dit à Gelfand et à ses avocats: «On ne peut pas gagner sur la base de la prépondérance des preuves en se fondant uniquement sur le fait que les accusations étaient vraies.»

Au cours de ce procès d’une semaine, les avocats de Gelfand demandèrent à plusieurs reprises à la juge Pfaelzer de rendre publiques les transcriptions du témoignage de Sylvia Callen devant le grand jury. La juge ne répondit pas à leur demande. Mais le dernier jour du procès, Jack Barnes rendit un hommage vibrant à Sylvia Caldwell, insistant pour dire qu'il n'y avait absolument aucune raison de la soupçonner d'être une taupe de la GPU dans le SWP. Il déclara:

Son comportement tout entier, non seulement lorsqu'elle était dans le mouvement, mais aussi tout ce qui s'est passé depuis son départ, indique qu'elle est exactement ce qu'elle était: une membre loyale, travailleuse et exemplaire de notre mouvement.

Interrogé par l'avocat de Gelfand pour savoir si son opinion restait la même, Barnes s'est montré encore plus catégorique.

Eh bien, aujourd'hui, je la considère comme une de mes héroïnes après le harcèlement et tout ce qu'elle a vécu ces dernières années.

Plus tard dans la journée, après que tous les témoins eurent terminé leur déposition, la juge Pfaelzer rendit finalement publiques les transcriptions de 1954 et 1958. Dans sa déposition sous serment, Sylvia Callen avait déclaré avoir travaillé comme agent de la GPU au sein du SWP.

Un autre élément de preuve crucial a été présenté au procès: une lettre adressée à Hansen par un membre de longue date du SWP et ami proche, indiquant que Hansen avait été identifié comme agent de la GPU.

Après plusieurs années de délai, la juge Pfaelzer a finalement rendu un jugement défavorable à Gelfand. Son silence prolongé équivalait à un aveu tacite que sa conduite du procès était dictée par des impératifs de sécurité nationale liés à la protection des agents de l'État. De plus, Pfaelzer n'a jamais accédé à la demande du SWP d'exiger de Gelfand le paiement des frais de justice ou toute autre forme de dédommagement financier.

Alan Gelfand, avec Harold Robins, le capitaine de la garde de Trotsky, à Los Angeles début 1983.

Près de six années s'écoulèrent entre le moment où Alan Gelfand souleva ses premières questions en 1977 et la conclusion du procès en mars 1983. Six années supplémentaires s'écoulèrent avant que le SWP n'abandonne finalement, en mai 1989, sa demande de remboursement des frais d'avocat contre Gelfand. Ce processus long et éprouvant soumit Alan à une immense pression. De plus, l'affaire se déroula alors qu'il travaillait à temps plein comme avocat commis d'office à Los Angeles, représentant des accusés dans des affaires extrêmement complexes.

Il ne fait aucun doute que la tension physique, intellectuelle et émotionnelle engendrée par l'accumulation de ses responsabilités professionnelles et politiques a contribué à la crise de santé qu'Alan a traversée au printemps 1986. On lui a diagnostiqué un lymphome non hodgkinien. Alan a suivi une radiothérapie intensive au centre médical de l'université de Stanford. Les cellules cancéreuses furent éliminées. Malgré les précautions prises par les radiologues, Alan a souffert d'effets secondaires récurrents liés au traitement. Il a néanmoins poursuivi son activité professionnelle avec un engagement et une énergie inébranlable.

Alors qu'il se remettait encore des difficiles séquelles des radiations, Alan dut faire face au rejet de La sécurité et la Quatrième Internationale ainsi que de l'Affaire Gelfand par le Workers Revolutionary Party suite à sa rupture d’avec le Comité international en février 1986. Dans une lettre ouverte au dirigeant du WRP Cliff Slaughter datée du 22 février 1987 Alan rappela à Slaughter que ce dernier

était parfaitement au courant des enjeux de La sécurité et la Quatrième Internationale; les publications du WRP et du CIQI démontrent votre implication directe dans cette enquête dès le départ. C'est grâce à votre vaste connaissance et à votre compréhension des questions fondamentales de sécurité que vous avez été inclus, avec votre accord, sur la liste de témoins déposée auprès du tribunal fédéral de Los Angeles en tant qu'expert chargé de témoigner sur les implications politiques et historiques des preuves que j'avais rassemblées.

Gelfand poursuivait ainsi:

Mais voilà que vous, sans aucune explication politique ni factuelle, et sans me consulter sur vos nouvelles préoccupations concernant cette affaire, vous avez adopté quasiment mot pour mot la ligne du SWP, dominé par des agents. Je ne comprends pas pourquoi, si les dirigeants du WRP avaient des doutes sur cette affaire, vous n'avez jamais suggéré de me contacter. Après tout, j'ai consacré des années de ma vie à cette enquête, au péril de ma vie.

Après avoir mis ma vie et ma réputation politique en jeu pour faire éclater la vérité sur l'assassinat de Trotsky et l'infiltration de la Quatrième Internationale par des agents de l'impérialisme et du stalinisme, pour défendre l'intégrité de ce que vous et d'autres membres du WRP avez écrit pendant de nombreuses années sur la question de la Sécurité, je me retrouve poignardé dans le dos par ceux avec qui j'ai étroitement collaboré afin d'établir la vérité historique.

Je ne soulève pas cette question à titre personnel ni pour me plaindre. Je ne regrette absolument rien. Même si j'avais pu anticiper les tensions au sein du WRP et prévoir votre propre évolution, cela ne m'aurait pas dissuadé d'entamer la lutte au sein du SWP et, après mon exclusion, d'exercer mes droits démocratiques dans l'intérêt du mouvement ouvrier afin de dénoncer une dangereuse conspiration. Mais votre trahison odieuse de la confiance politique soulève une importante question de classe. Quel travailleur sain d'esprit pourrait faire confiance à une organisation dont les dirigeants changent d'avis et sont prêts à vous poignarder dans le dos pour des gains factionnels immédiats?

Slaughter, qui était en train de rompre tous ses liens politiques et intellectuels avec le trotskysme, le marxisme et le socialisme révolutionnaire, n'a jamais répondu à la lettre d'Alan.

Suite à son décès, un examen de l'engagement d'Alan dans la politique socialiste met inévitablement l'accent sur son rôle central dans l'affaire qui porte son nom. Il convient toutefois de souligner que sa contribution à la lutte pour le socialisme ne s'est pas arrêtée à l'Affaire Gelfand. Pendant près de quarante ans, Alan a œuvré sans relâche à la construction du mouvement trotskyste. Bien que son activité politique quotidienne se concentrât sur Los Angeles, où il continuait d'exercer le droit, son objectivité et son discernement remarquables constituaient une ressource intellectuelle d'une importance inestimable pour le Socialist Equality Party (SEP). Alan a été élu par le dernier congrès national du SEP pour siéger à sa commission de contrôle, chargée des enquêtes internes au parti.

C’était un collaborateur assidu du World Socialist Web Site. On lui attribue plus de 100 articles. Sous le pseudonyme d'Alan Gilman, il écrivait sur une grande variété de sujets, et notamment sur les questions relatives au sport, domaine dans lequel il possédait une connaissance encyclopédique.

L'avant-dernier article d'Alan, daté du 9 mai, était intitulé: «Trump propose de rouvrir Alcatraz et le Guantanamo américain». Alan dénonçait ce projet comme étant «répugnant et révélateur».

Cela servirait à normaliser la construction de prisons similaires de concentration dans tout le pays. Et cela démontre la préoccupation foncièrement sadique pour la répression brutale comme solution à la crise du capitalisme américain, préoccupation partagée non seulement par Trump, mais par toute la classe dirigeante.

Dans son travail politique et juridique, Alan faisait preuve d'une objectivité et d'un esprit d'analyse exceptionnels. Mais ses formidables facultés intellectuelles étaient contrebalancées par une personnalité profondément humaine. En tant qu'avocat de l’aide juridictionnelle, il se battait avec passion pour l'acquittement de tous ceux qui étaient accusés à tort. Cependant, il était tout aussi déterminé à défendre les droits démocratiques des accusés confrontés à une multitude accablante de faits incriminants. Alan conservait une profonde empathie, les considérant non comme des «monstres», mais comme les victimes d'une société hostile et oppressive, prises au piège d'une tragédie sociale.

Vers la fin de sa longue carrière, Alan fut chargé de défendre des accusés dans des affaires passibles de la peine capitale. Dans tous ces cas, les accusés souffraient de graves troubles psychologiques. Les crimes dont ils étaient accusés étaient véritablement terribles. Mais Alan était indigné que l'État de Californie puisse répondre à l'acte irrationnel d'une personne atteinte de maladie mentale en requérant la peine de mort. Il luttait sans relâche pour sauver la vie des accusés et il était fier d'avoir triomphé des procureurs sanguinaires dans chaque affaire qui lui fut confiée.

Malgré toutes les pressions liées à son travail politique et juridique, Alan menait une vie personnelle merveilleusement épanouissante. Sa compagne des 37 dernières années, Roseanna, lui apportait une immense joie. Bien que présentée au SEP par Alan, Roseanna, forte de son expérience et de ses convictions personnelles, y adhéra.

La dernière année de la vie d'Alan fut marquée par des problèmes de santé récurrents et des douleurs physiques. Malgré cela, il conserva une vision optimiste de l'avenir. Il était convaincu que la cause à laquelle il avait consacré sa vie allait perdurer. Alan participa à l'école d'été internationale en ligne 2025 du Socialist Equality Party, consacrée au thème de La Sécurité et de la Quatrième Internationale.

Le 15 juillet, deux semaines avant l'ouverture de l'école, j'ai écrit à Alan :

Je sais que tu suis avec un vif intérêt la préparation du parti pour l'école d'été internationale, qui sera consacrée à un examen approfondi de La sécurité et la Quatrième Internationale. Plusieurs séances seront dédiées à l'étude détaillée de l'affaire qui porte ton nom. L’Affaire Gelfand a permis de vérifier et de confirmer les conclusions de l'enquête du Comité international sur le complot ayant conduit à l'assassinat de Trotsky et à la double attaque stalinienne et impérialiste menée contre la Quatrième Internationale. Le procès de cette affaire sans précédent dans l'histoire, mené dans le contexte hostile d'un tribunal fédéral, n'aurait pas été possible sans ton courage, ta détermination et ton attachement indéfectible à la vérité historique.

Près de cinquante ans se sont écoulés depuis que tu as confronté pour la première fois la direction du Socialist Workers Party à des questions cruciales qui mettaient au défi son refus de réagir aux preuves des liens de Hansen avec la GPU et le FBI. Le temps a confirmé la portée considérable de ton action. Presque tous les étudiants-cadres qui fréquenteront l'école internationale sont nés des années, voire une ou deux décennies, après le procès Gelfand de mars 1983. L'étude de la lutte dans laquelle tu as joué un rôle si central est, et restera, une source de connaissances et d'inspiration essentielles pour la nouvelle génération de travailleurs et de jeunes révolutionnaires.

Alan, tu as mené une vie d'une grande et persistante importance. Tu as pleinement le droit de considérer avec satisfaction ta vie et tes accomplissements.

Pour ma part, Alan, je suis fier d'avoir été pendant tant d'années ton camarade et ami.

Quelques semaines seulement avant sa mort, Alan a écrit à Joseph Kishore, le secrétaire national du SEP:

Politiquement, c'est une période extrêmement intense et passionnante. Mon seul regret est de devoir peut-être m’absenter au milieu de la réalisation du plus grand accomplissement de l'humanité, la révolution socialiste mondiale, mais il est réconfortant de savoir que toi et tant d'autres mèneront cette tâche à bien.

Dans ses derniers mots à un camarade et ami proche, Alan a dit: «C’est difficile de dire au revoir. Mais j’ai de la joie dans le cœur et un sourire sur le visage, et j’ai confiance dans le mouvement et dans mes camarades.»

Alan Gelfand ne sera jamais oublié. Sa place est assurée dans l'histoire de la Quatrième Internationale et dans le cœur de ses camarades.

(Article paru en anglais le 8 novembre 2025)

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