Socialisme internationaliste contre réformisme nationaliste, 3e partie

Léon Trotsky et la Deuxième Révolution chinoise, 1925-1927

La conférence suivante a été donnée par Peter Symonds, rédacteur national du WSWS pour le Parti de l'égalité socialiste (SEP Australie), à l'École d'été internationale 2025 du SEP (États-Unis), tenue du 2 au 9 août 2025. Il s'agit de la troisième partie de la conférence «Socialisme internationaliste contre réformisme nationaliste». La première partie, donnée par Clara Weiss, a été publiée ici et la deuxième partie, donnée par Chris Marsden, ici .

Le WSWS publie également un document d’une source primaire rédigé par Léon Trotsky pour accompagner cette conférence : la section 3 de L’Internationale communiste après Lénine , intitulée « Synthèse et perspectives de la révolution chinoise : ses leçons pour les pays d’Orient et pour l’ensemble du Komintern ». Nous encourageons nos lecteurs à étudier ce texte parallèlement à la conférence. L’ouvrage complet est disponible à l’achat ici, chez Mehring Books .

Cette année marque le centenaire de la Seconde Révolution chinoise. Elle éclata en mai 1925, alimentée par les conditions de travail des ouvriers, dignes de l’esclavage. Les grèves furent brutalement réprimées. Le déclencheur immédiat fut le meurtre d'un ouvrier par un contremaître japonais à Shanghai. Les manifestations anti-impérialistes des étudiants et des ouvriers dans toute la ville se répandirent à l'échelle nationale après que la police britannique eut ouvert le feu sur des milliers de manifestants le 30 mai, faisant 12 morts. En réaction, la ville entière fut paralysée par une grève générale. Dans tout le pays, environ 400 000 travailleurs participèrent à quelque 135 grèves.

1. L'opposition continua de croître. Lorsque les troupes britanniques et françaises ouvrirent le feu à la mitrailleuse sur une grande manifestation à Canton le 23 juin, 100 000 ouvriers quittèrent la colonie britannique voisine de Hong Kong et un boycott des produits britanniques fut décrété, sous la direction d'un comité de grève pour Canton et Hong Kong. Ces événements marquèrent le début d'un puissant mouvement révolutionnaire qui allait mobiliser des millions d'ouvriers et de paysans à travers la Chine au cours des deux années suivantes.

Staline dans les années 1920

2. La défaite catastrophique de la révolution de 1927, conséquence directe de la politique de Staline, fut une expérience stratégique majeure pour la classe ouvrière internationale et un tournant décisif dans la consolidation politique de l'Opposition de gauche. La première conférence de cette école démontra pourquoi la théorie de la Révolution permanente de Trotsky s'avéra être le fondement de la victoire des bolcheviks en octobre 1917. L'issue tragique de la Seconde Révolution chinoise fut une seconde confirmation de la Révolution permanente, mais au sens négatif.

3. La perspective stalinienne du «socialisme dans un seul pays» et le rejet de l'internationalisme socialiste ont eu pour corollaire la renaissance de la théorie menchévique des deux stades, qui attribuait à la prétendue bourgeoisie nationale chinoise le rôle dirigeant dans la révolution nationale bourgeoise. Staline a exploité l'autorité de la Révolution russe pour imposer cette théorie au jeune Parti communiste et le subordonner au parti nationaliste de la bourgeoisie chinoise, le Kuomintang (KMT).

Staline affirmait qu'en Chine, l'oppression impérialiste avait soudé les forces anti-impérialistes en un bloc de quatre classes – la bourgeoisie nationale, le prolétariat, la paysannerie et la petite bourgeoisie – chargé de mener la révolution. Le KMT dirigerait la révolution, tandis que le Parti communiste serait son fidèle serviteur politique. Rien ne devait être fait qui puisse menacer les rapports de propriété capitalistes et, par conséquent, le bloc des quatre classes. La lutte pour le socialisme était reléguée à un lointain second stade.

Léon Trotsky à Prinkipo, 1931

4. S'appuyant sur la théorie de la révolution permanente et sur l'expérience de la Révolution russe, Trotsky expliquait que, loin de souder les classes, le développement de la révolution conduirait inévitablement à une confrontation entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Il insistait sur le fait que le Parti communiste devait établir son indépendance politique vis-à-vis du KMT et lutter pour la direction et pour le développement du mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans en appelant à la formation de soviets, ce à quoi Staline s'opposa de façon répétée.

5. Au lendemain de la défaite de la révolution allemande en octobre 1923, la clique stalinienne chercha à dissimuler sa propre responsabilité en promouvant une évaluation radicalement erronée de la situation mondiale, la considérant comme celle de possibilités révolutionnaires « permanentes» à venir, plutôt que comme une situation de reflux révolutionnaire. Ce cours d’ultra-gauche conduisit à des aventures ratées et, compte tenu d'une accalmie temporaire dans la classe ouvrière, à une orientation vers d'autres forces de classe. Ce que Trotsky appela dans La Troisième Internationale après Lénine le levain de droite de ce cours d’ultra-gauche allait apparaître plus tard avec la reconnaissance tardive d'une relative stabilisation économique du capitalisme dans le cadre d’un tournant à droite. Le glissement centre-droit qui provoqua la défaite de la grève générale britannique conduisit également à l'adoption opportuniste du Kuomintang en Chine.

6. Il est impossible, dans le temps imparti, de retracer en détail la révolution chinoise telle qu'elle s'est déroulée sur deux ans. Pour ceux qui souhaitent l'étudier, nous recommandons La Tragédie de la Révolution chinoise d'Harold Isaacs, pour lequel Trotsky a écrit une importante introduction. Cet ouvrage a résisté à l'épreuve du temps, malgré le virage à droite ultérieur d'Isaacs, et constitue un complément précieux aux écrits et polémiques cruciaux de Trotsky à l'époque.

Carte de la République d'Extrême-Orient et de la Chine - 1929 [Photo: George Wharton James, Alan H. Burgoyne and Elmore Elliot Peake]

7. La Révolution chinoise n'est pas seulement une intéressante leçon d'histoire. Ses ramifications politiques se répercutent jusqu'à nos jours et pas seulement en Chine où la Troisième Révolution chinoise de 1949 fut déformée par la version maoïste du « socialisme dans un seul pays ». Les formules mencheviques codifiées et sanctifiées par le stalinisme en Chine – la théorie des deux stades, le bloc des quatre classes et la glorification de la soi-disant bourgeoisie nationale progressiste – ont été responsables de défaites successives pour la classe ouvrière, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine, durant le siècle qui suivit.

8. Dans le temps imparti, cette conférence se contentera d’ébaucher les principaux tournants et les leçons politiques de la Deuxième Révolution chinoise au cours des deux années allant de mai/juin 1925 à décembre 1927.

Un peu de contexte s'impose. La Chine des années 1920 était un pays semi-colonial fracturé. Les principales puissances impérialistes, la Grande-Bretagne en tête, avaient imposé des traités inégaux à la chancelante dynastie mandchoue par le biais d'une diplomatie de la canonnière. Chacune d'elles s'était taillée des enclaves, ou « concessions », dans des villes comme Shanghai, où leur loi et leur police prévalaient. La dynastie mandchoue fut renversée lors de la Première Révolution chinoise de 1911. Mais la faiblesse de la bourgeoisie chinoise fut illustrée par l'incapacité du premier président de la nouvelle république, Sun Yat-sen, à unifier le pays, morcelé entre seigneurs de guerre rivaux. Son parti, le Parti national chinois ou Kuomintang, ne contrôlait que la ville méridionale de Canton. C'est précisément à cause de cette faiblesse que Sun Yat-sen se tourna vers l'Union soviétique pour obtenir aide et assistance dans la formaton d'une armée. En 1924, des conseillers soviétiques aidèrent à la création de L’École militaire de Whampoa.

La route de Nanjing pendant la première révolution chinoise, 1911

9. Le Parti communiste chinois avait été fondé en 1921, quatre ans seulement avant le déclenchement de la révolution. En août 1922, le Komintern ordonna au jeune Parti communiste d'adhérer au Kuomintang à titre individuel et d'œuvrer en son sein. Ce n'est que l'année suivante, face à une opposition généralisée au sein du Parti communiste chinois, qu'on a finalement convaincu celui-ci d'y adhérer. Lorsque la question fut débattue au Politburo de Moscou en janvier 1923, Trotsky fut le seul à s'opposer à cette décision. Loin d'être une étape temporaire vers la construction d'un parti indépendant, elle devint, sous Staline, une politique à long terme, celui-ci adoptant le Kuomintang comme leader de la révolution chinoise.

Malgré sa subordination au Kuomintang, le Parti communiste acquit une influence considérable au sein de la classe ouvrière. Le 1er mai 1925, à la veille de la révolution, le deuxième Congrès national du Travail du Parti communiste convoqua des organisations représentant 570 000 travailleurs.

10. La mort de Sun Yat-sen en mars 1925 avait provoqué des luttes intestines au sein du Kuomintang entre Chiang Kaï-chek, commandant de l'armée et directeur de l’École militaire de Whampoa, et Wang Ching-wei, qu’on disait de gauche et qui dirigeait le parti et son gouvernement à Canton. Ces luttes culminèrent en mars 1926 avec le coup d'État qui permit à Chiang Kaï-chek de prendre le contrôle du Kuomintang. Il écarta la direction «de gauche» et s'en prit simultanément au Parti communiste et à la classe ouvrière. Chiang fit également arrêter 50 dirigeants communistes de premier plan et plaça tous les conseillers soviétiques en état d'arrestation. Les communistes furent alors exclus des postes et comités dirigeants du Kuomintang et contraints de défendre l'idéologie libérale bourgeoise de Sun Yat-sen. La répression interne alla de pair avec une répression des grèves ouvrières et des actions menées par la paysannerie. La grève de longue durée de Canton et Hong Kong fut interrompue en octobre 1926.

Après avoir consolidé son emprise sur le Kuomintang, Chiang lança une campagne militaire en juillet 1926 – l’expédition du Nord – contre les seigneurs de guerre du Nord dans le but d’étendre le règne du Kuomintang à toute la Chine.

Sun Yat-sen (au milieu derrière la table) et Chiang Kai-shek (sur scène en uniforme) lors de la fondation de l’École militaire de Whampoa en 1924

11. Quelle fut la réponse de Staline ? Il ordonna au Parti communiste de rester au sein du Kuomintang, en dépit du fait que sur le plan politique et organisationnel il fût pieds et poings liés, et lui ordonna de soutenir l'Expédition du Nord par tous les moyens. Pour les masses, les victoires militaires du KMT furent perçues comme le début de la révolution. Lorsque la province du Hunan fut libérée des seigneurs de la guerre, par exemple, quatre millions d'agriculteurs affluèrent dans des associations paysannes en seulement cinq mois, et un demi-million d'ouvriers rejoignirent l'Union générale du travail dirigée par le PCC. Chiang s'appuya sur le PCC pour canaliser ce vaste mouvement derrière le Kuomintang.

12. En Union soviétique, Trotsky et l'Opposition de gauche exigeaient l'indépendance politique du Parti communiste vis-à-vis du KMT et mettaient en garde contre les conséquences, malgré la censure, les provocations et la répression croissantes de l'appareil stalinien. Trotsky écrivit en septembre 1926 que « la montée d'une puissante vague de grèves parmi les ouvriers chinois » signifiait que la tâche politique immédiate du Parti communiste « devait désormais être de lutter pour une direction directe et indépendante de la classe ouvrière éveillée ». Il avertissait :

Le mouvement vers la gauche des masses ouvrières chinoises est un fait aussi assuré que le mouvement vers la droite de la bourgeoisie chinoise. Dans la mesure où le Kuomintang a été établi sur l’union politique et organisationnelle des ouvriers et de la bourgeoisie, il doit maintenant éclater sous l’effet des tendances centrifuges de la lutte des classes. (Leon Trotsky on China, Monad Press, New York, 1976, p. 114)

13. Staline, cependant, continua de promouvoir Chiang et le Kuomintang comme dirigeants de la révolution chinoise. En mars 1926, le Komintern avait officiellement inclus le Kuomintang comme section «sympathisante» et nommé Chiang à son présidium en tant que président «honoraire». Staline ignora les signes croissants indiquant que Chiang se préparait à réprimer le Parti communiste et continua d'insister pour que rien ne soit fait qui puisse compromettre les relations avec le Kuomintang. En conséquence, le Parti communiste se vit interdire de former des soviets d'ouvriers et de paysans, bien que ceux-ci aient été enclins à les établir.

14. En mars 1927, après la prise de Nankin par les armées de Chiang, le Parti communiste organisa une insurrection armée à Shanghai, la ville la plus industrialisée de Chine, soutenue par une grève générale de 800 000 ouvriers, pour écraser les forces des seigneurs de la guerre. Sous l'égide du Syndicat général du travail de la ville , il prit le contrôle total de la ville, à l'exception des concessions étrangères, terrifiant la bourgeoisie. Agissant de plus en plus ouvertement, Chiang conspira avec les hommes d'affaires et les gangsters de la ville pour porter un coup fatal au prolétariat de Shanghai et au Parti communiste.

15. Staline ordonna cependant au Parti communiste d'enterrer ses armes et d'accueillir les troupes de Chiang Kaï-chek dans la ville. Dans un discours tristement célèbre prononcé dans la Salle des Colonnes de Moscou le 5 avril 1927, qui, à ma connaissance, n'a jamais été publié en anglais, Staline déclara :

Chang Kai-shek se soumet à la discipline. Le Kuomintang est un bloc, une sorte de parlement révolutionnaire, composé de la droite, de la gauche et des communistes. Pourquoi faire un coup d'État ? Pourquoi rejeter la droite lorsque c’est nous qui avons la majorité et que la droite nous écoute ? […] aussi doit-on les utiliser jusqu'au bout, les presser comme un citron, puis les jeter à la poubelle. (La tragédie de la révolution chinoise, Harold Isaacs)

À peine une semaine plus tard, le 12 avril 1927, ce fut Chiang qui écarta le Parti communiste et déclencha un bain de sang. Une grève générale fut réprimée par les balles. Des centaines d'ouvriers et de communistes furent sauvagement massacrés, et le Parti communiste et le Syndicat général du travail de la ville furent dissous. Sous le règne de la «terreur blanche» qui s'ensuivit, des milliers de travailleurs communistes furent assassinés à Shanghai et dans d'autres villes sous le contrôle de Chiang.

Décapitation publique d'un communiste lors du massacre de Shanghai en 1927

16. Au lendemain de ce désastre monumental, la Pravda publia à Moscou, le 21 avril, les thèses de Staline sur « Les problèmes de la révolution chinoise », dans lesquelles il déclarait que les événements « prouvaient que la ligne tracée était la seule correcte ». Trotsky écrivit une réponse accablante, « La révolution chinoise et les thèses du camarade Staline », dans laquelle il réfutait point par point les justifications de la trahison de la classe ouvrière chinoise. Elle ne fut pas publiée.

17. Sur l'affirmation de Staline que l'oppression impérialiste avait uni le prolétariat et la bourgeoisie nationale dans un bloc de quatre classes avec la paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine, Trotsky écrivit:

«C'est une grossière erreur que de penser que l'impérialisme soude de façon mécanique toutes les classes chinoises de l'extérieur... La lutte révolutionnaire contre l'impérialisme n'atténue pas la différenciation politique des classes, elle les renforce plutôt.[…]Mais tout ce qui fait se lever les masses opprimées et exploitées des travailleurs et paysans pousse inévitablement la bourgeoisie nationale à faire bloc ouvertement avec les impérialistes. La lutte des classes entre la bourgeoisie et les masses d'ouvriers et de paysans n'est pas atténuée, au contraire, elle est aiguisée par l'oppression impérialiste, jusqu'à la guerre civile sanglante à chaque conflit sérieux.» (Leon Trotsky on China. Monad Press, New York, 1976, p. 161)

18. Une autre justification pour l'affirmation que la bourgeoisie nationale chinoise pouvait jouer un rôle révolutionnaire était la prétendue prédominance de « restes de féodalisme ». Mais, comme l'expliquait Trotsky, ce qui prédominait en Chine, c'étaient les relations capitalistes qui imprégnaient tous les aspects de la société. L'usurier détesté du village était lié au capital financier des villes – un lien qui ne pourrait être rompu que par un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, soutenu par la paysannerie, contre la bourgeoisie.

Wang Ching- wei (troisième à partir de la gauche), chef du gouvernement « de gauche » du Kuomintang à Wuhan, en compagnie du conseiller soviétique Mikhaïl Borodine (deuxième à partir de la gauche) et d'autres dirigeants du gouvernement. [Photo: Louis Fischer, The Soviets in World Affairs, 1930]

19. Alors que Staline préparait une seconde édition de la tragédie chinoise en subordonnant le Parti communiste au Kuomintang «de gauche» basé à Wuhan, il déclara à nouveau que le moment n'était pas venu de former des soviets. La création de soviets, disait-il, signifierait une insurrection contre le « Kuomintang révolutionnaire». Trotsky expliquait que malgré le massacre de Shanghai, tout indiquait que la révolution n'avait pas été écrasée. Les soviets étaient le moyen essentiel par lequel des millions d'ouvriers et de paysans pouvaient organiser la lutte révolutionnaire et répondre aux expériences des masses.

Le paysan chinois sait que les soviets ont donné la terre au paysan russe […] Les ouvriers chinois savent que les soviets ont garanti la liberté du prolétariat russe. L'expérience de la contre-révolution de Chiang Kaï-chek a dû faire comprendre aux ouvriers avancés que sans une organisation indépendante englobant l'ensemble du prolétariat et assurant sa collaboration avec les masses opprimées des villes et des campagnes, la révolution ne peut triompher.

Leon Trotsky on China, Monad Press, New York, 1976, p. 17]

20. Selon Staline, le Kuomintang « de gauche» représentait encore la petite bourgeoisie révolutionnaire, qui dirigerait la révolution agraire lors de la «deuxième étape» de la révolution. Pourtant, les commandants militaires « de gauche» du KMT ignoraient déjà la politique officielle du parti et menaient des attaques sanglantes contre les communistes, les syndicats et les associations paysannes de la région. Plutôt que de condamner ces attaques, Staline dénonça l'appel de l'Opposition de gauche à la création de soviets, le qualifiant d'appel au renversement du gouvernement Kuomintang de gauche de Wang Ching-wei.

21. Dans un discours prononcé lors du huitième plénum du Komintern en mai, Trotsky avertit:

Nous nous adressons directement aux paysans chinois: les dirigeants du KMT de gauche du genre de Wang Ching-wei et compagnie vous trahiront si vous suivez les chefs du Wuhan au lieu de former vos propres soviets indépendants [...] Les politiciens du genre de Wang Ching-wei, dans des conditions difficiles, s'uniront plutôt dix fois qu'une avec Chiang Kaï-chek contre les ouvriers et les paysans.[...] La révolution démocratique bourgeoise chinoise ira de l'avant et sera victorieuse ou sous la forme des soviets ou pas du tout ».

(Leon Trotsky on China, Monad Press, New York, 1976, pp. 234-235)

22. Staline ordonna cependant au Parti communiste de rester au sein du Kuomintang de gauche. Les dirigeants communistes Tan Ping- shan et Hsu Chao- jen occupèrent deux postes ministériels clés, respectivement pour l'Agriculture et le Travail, au sein du gouvernement bourgeois. Face à la montée continue des luttes révolutionnaires, Wang Ching- wei insista pour qu'ils usent de leur influence pour freiner les actions «excessives» des paysans et des ouvriers. Dans de nombreuses zones rurales, les associations paysannes avaient chassé les propriétaires fonciers et fonctionnaient comme autorité locale. Dans deux grandes villes, Wuhan et Changsha, les ouvriers durement touchés par l'inflation et les fermetures d'entreprises exigèrent la prise en main des usines et des commerces.

Tan Ping-shan et Hsu Chao-jen

Deux mois plus tard, les avertissements de Trotsky se révélèrent tragiquement exacts. Le 15 juillet, Wang Ching-wei ordonna officiellement à tous les communistes de quitter le KMT sous peine de sévère châtiment. À l'instar de Chiang Kaï-chek, c'est Wang qui pressa le Parti communiste «comme un citron» et le rejeta. La vague de terreur déchaînée contre les communistes, les paysans et les ouvriers fut, à vrai dire, plus brutale et plus généralisée que celle de Chiang. Les syndicats paysans et ouvriers du Hunan furent complètement anéantis. M. N. Roy, le principal délégué du Komintern auprès du Kuomintang, dont la principale préoccupation était de dissimuler l'ampleur de la défaite, estima que 25 000 communistes avaient été tués par Chiang et Wang au cours du premier semestre 1927, ainsi que de nombreux autres ouvriers et paysans.

24. Une fois de plus, Staline affirma que sa ligne politique était la bonne et imputa la responsabilité du désastre au dirigeant du Parti communiste chinois, Chen Tu-hsiu. Au lendemain des deux défaites catastrophiques infligées au Parti communiste, à la classe ouvrière et aux masses opprimées, Staline ordonna un brusque virage à gauche, semblable à l'ultra-gauchisme qui suivit immédiatement la défaite de la Révolution allemande de 1923. Au moment même où la vague révolutionnaire s'atténuait, le PCC fut contraint de se lancer dans une série d'aventures ratées, qui culminèrent en décembre 1927 avec l'ordre d'établir un soviet à Canton et de prendre le pouvoir. Cette décision était programmée non pas pour coïncider avec une quelconque poussée révolutionnaire à Canton, mais avec l'ouverture du XVe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique, et visait à repousser les critiques de l'Opposition de gauche.

25. Le Parti communiste mena une lutte courageuse pendant trois jours, du 11 au 13 décembre, malgré une infériorité numérique et un sous-armement considérable, pour prendre le contrôle de bâtiments clés de Canton. Il publia un manifeste audacieux qui laissait présager de profondes atteintes aux rapports de propriété capitalistes. Mais il n'y eut aucun mouvement de masse ni aucune base pour un soviet élu, et les perspectives de soutien extérieur étaient faibles, même en cas de succès du soulèvement. Peu de travailleurs répondirent aux appels à des meetings de masse. Aucun appel à la grève générale ne fut lancé. Le Kuomintang mobilisa rapidement ses forces militaires pour écraser la rébellion avec une brutalité sauvage, marquant ainsi la fin de la révolution.

Cadavres de communistes après l'écrasement du soviet de Canton

Même dans sa défaite, Trotsky tira des leçons politiques essentielles de la Commune de Canton, qui témoignait du fait que seul le prolétariat était capable d'accomplir les tâches de la révolution démocratique bourgeoise et serait par là contraint d'entamer la reconstruction socialiste de la société. Comme il l'expliquait :

Le programme du nouveau pouvoir comprenait non seulement la confiscation des terres des hobereaux, pour autant qu'il y en eût dans le Kouantoung, le contrôle ouvrier sur la production, mais aussi la nationalisation de la grande industrie, des banques, des transports, et même la confiscation des appartements de la bourgeoisie et de tous les biens de celle-ci au profit des travailleurs. Si ce sont là les méthodes de la révolution bourgeoise, on se demande à quoi peut donc bien ressembler en Chine la révolution prolétarienne! (L’Internationale communiste après Lénine).

26. En commençant la section de L’Internationale communiste après Lénine consacrée à la Révolution chinoise, Trotsky écrivait:

C'est par l'analyse de l'expérience, des fautes et des tendances de la Révolution de 1905 que se constituèrent définitivement le bolchevisme, le menchevisme et l'aile gauche de la social-démocratie allemande et internationale. L'analyse de l'expérience de la révolution chinoise a aujourd'hui la même importance pour le prolétariat international. (L’Internationale communiste après Lénine).

Au cours des luttes internes du parti de 1925 à 1927, le fossé infranchissable entre bolchevisme et menchevisme s'était redessiné sous une nouvelle forme dans la lutte de l'Opposition de gauche contre la politique stalinienne, qui s'était avérée désastreuse. La théorie de la révolution permanente avait été étayée par de nouvelles preuves, mais à un prix terrible. Et, comme en avait prévenu Trotsky, bien que l'Opposition de gauche ait gagné des milliers de nouveaux adhérents, Staline exploiterait cette défaite et son impact sur la classe ouvrière soviétique pour intensifier la répression. Lors du XVe Congrès, l'Opposition de gauche fut exclue du parti et ses dirigeants, dont Trotsky, furent envoyés en exil intérieur.

Parallèlement, les écrits de Trotsky sur la Chine éclairèrent les raisons de cette défaite cuisante, jetant les bases de la formation de l'Opposition de gauche chinoise. Parmi ceux qui rejoignirent ses rangs figuraient d'anciens membres et dirigeants du Parti communiste, dont son président fondateur Chen Tu-hsiu, ainsi que de nombreux étudiants chinois qui avaient rejoint l'Opposition de gauche pendant leurs études à Moscou.

(Article paru en anglais le 3 septembre 2025)

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