Lundi, deux organisations israéliennes de défense des droits de l'homme, B'Tselem (Centre d'information israélien pour les droits de l'homme dans les territoires occupés) et Médecins pour les droits humains-Israël, ont publié des rapports concluant qu'Israël commet depuis près de deux ans un génocide contre les Palestiniens de Gaza. Elles appellent à une intervention internationale pour éviter de nouvelles pertes humaines.
Leurs rapports concordent avec ceux d’autres groupes de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, le Centre européen des droits de l’homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et Médecins sans frontières, ainsi que des organisations des Nations Unies, qui condamnent Israël pour avoir commis des actes interdits par la Convention sur le génocide, dans l’intention spécifique de détruire les Palestiniens de Gaza.
Le rapport de B'Tselem, «Notre génocide», est rédigé par des Palestiniens israéliens et des Israéliens juifs. En tant que défenseurs des droits humains ils luttaient « ensemble pour le droit de vivre ici, dans une société juste, entre le Jourdain et la mer Méditerranée, dans la paix, la sécurité et la justice pour tous ».
Le rapport détaille les preuves – déclarations de politiciens de premier plan attestant l’intentionnalité, données et témoignages déchirants de Gazaouis – montrant la destruction systématique de la société palestinienne par Israël et la création de conditions de vie catastrophiques qui rendent l’existence impossible, ce qui «est précisément la définition du génocide».
«En tant qu'Israéliens et Palestiniens vivant ici et exposés quotidiennement aux témoignages et à la réalité, il est de notre devoir de dire la vérité, honnête et entière», déclare B'Tselem. Le génocide ne se résumait « pas à des massacres, mais à une destruction totale: raser des villes entières, déplacer des populations de force, les affamer – tout ce qu'Israël a fait. Dès le départ, les responsables gouvernementaux et les commandants militaires ont explicitement déclaré que ces actions, cette politique, correspondaient exactement à leur objectif: affamer, éliminer, raser Gaza.»
Le rapport indique encore que le gouvernement israélien a exploité l'attaque du 7 octobre et les peurs existentielles qu'elle avait suscitées «pour promouvoir un programme de suprématie juive, de destruction et d'expulsion ». On avait fait « de la vie de tous les Palestiniens, du fleuve à la mer, quelque chose de jetable, et la situation ne fait qu'empirer. Des gens sont abattus alors qu'ils tentent de se procurer de la nourriture, et des enfants meurent de faim. Nous ne pourrons plus dire: 'Nous ne savions pas'».
B'Tselem a averti que le génocide ne se limitait pas à Gaza : « Le même régime, la même armée, les mêmes dirigeants et généraux mettent en œuvre des pratiques d'une violence extrême en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et en Israël. Israël reproduit déjà certaines de ses méthodes destructrices en Cisjordanie – pour l'instant, à plus petite échelle – et l'on craint de plus en plus que le génocide ne s'étende à d'autres zones sous contrôle israélien. »
L’organisation tient les grandes puissances responsables des atrocités commises pour n’avoir pas bridé Israël, soulignant qu’il est de la responsabilité de la «communauté internationale» d’utiliser tous les outils disponibles en vertu du droit international pour mettre fin au génocide.
Le rapport de Médecins pour les droits humains-Israël, intitulé Génocide à Gaza, décrit l'assaut israélien comme un démantèlement délibéré, cumulatif et continu du système de santé de l'enclave et de la capacité de la population à survivre et conclut que sa signification est un génocide.
«Les bombardements d'hôpitaux par Israël, la destruction du matériel médical et l'épuisement des stocks de médicaments ont rendu les soins médicaux, tant immédiats qu'à long terme, pratiquement impossibles. Le système s'est effondré sous le poids des attaques incessantes et du blocus… », écrit l’organisation.
« Il ne s'agit pas d'une crise temporaire. Il s'agit d'une stratégie visant à éliminer les conditions nécessaires à la vie. Même si Israël met fin à son offensive aujourd'hui, les destructions qu'il a infligées garantissent que des décès évitables – dus à la famine, aux infections et aux maladies chroniques – perdureront pendant des années. Il ne s'agit pas de dommages collatéraux. Ce n'est pas un effet secondaire de la guerre. C'est la création systématique de conditions invivables. C'est le déni de toute possibilité de survie. C'est un genocide. »
Les experts israéliens de l’Holocauste et du génocide Daniel Blatman, Omar Bartov, Shmuel Lederman, Amos Goldberg et Raz Segal, le juriste Itamar Raz et les historiens Lee Mordechai et Adam Raz, entre autres, sont arrivés à la même conclusion.
Alors que les sondages d’opinion publique ont rapporté que la majorité des Juifs israéliens n’étaient pas très préoccupés par la situation humanitaire horrifiante de Gaza – en partie au moins à cause du déluge de mensonges et de désinformation dans les médias israéliens qui ne rendent généralement pas compte des conditions à Gaza – il y a des signes, bien que modestes, que la situation est en train de changer.
En octobre dernier, environ 140 soldats réservistes avaient signé une lettre refusant de continuer à servir si le gouvernement ne proposait pas un accord sur la libération des otages.
En avril, des centaines de réservistes et d'officiers retraités de l'armée de l'air israélienne ont signé une lettre ouverte appelant le gouvernement Netanyahou à conclure un accord pour le retour des otages. Elle déclarait : « La poursuite de la guerre ne fait avancer aucun des objectifs déclarés de la guerre et entraînera la mort des otages, des soldats de Tsahal et de civils innocents. » Selon Standing Together, une ONG juive palestinienne qui a été l'un des premiers groupes israéliens à organiser des manifestations pour une fin de la guerre, environ 140 000 professionnels ont signé des lettres similaires.
En mai, plusieurs milliers de personnes ont participé à un Sommet des peuples pour la paix de deux jours à Jérusalem, organisé sous l'égide d'« Il est temps », une coalition de dizaines d’organisations palestiniennes et israéliennes œuvrant pour la paix et la justice sociale. Les intervenants ont dénoncé le « nettoyage ethnique » d'Israël, la famine délibérée à Gaza et la violence brutale des colons en Cisjordanie, et ont appelé à une solution diplomatique à la guerre.
Fin mai, 1 200 universitaires et administrateurs israéliens ont publié une lettre ouverte protestant contre les « crimes de guerre et même les crimes contre l'humanité » commis par l'armée israélienne à Gaza. La lettre interpellait « tous les habitants de ce pays, Palestiniens et Juifs ». Elle déclarait :« Dans l’intérêt de la vie des innocents et de la sécurité de tous les habitants de ce pays, Palestiniens et Juifs ; dans celui d’un retour des otages : si nous n'appelons pas immédiatement à stopper la guerre, l'histoire ne nous le pardonnera pas. »
La semaine dernière, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées place Habima à Tel-Aviv, brandissant des photos d'enfants décharnés de Gaza et des sacs de farine, pour protester contre le gouvernement Netanyahou. Alon-Lee Green, codirecteur de Standing Together, organisateur de l'événement, a déclaré à Haaretz : « Nous ne pouvons pas croire qu'il faille manifester contre le fait qu’on affame des enfants et des innocents. » Les Israéliens commençaient à prendre conscience de la situation, « ils comprennent que c'est la réalité, qu'il ne s'agit pas d'une campagne [fausse] comme le prétendent certains journalistes ou politiciens. La famine est bel et bien là. »
Il a ajouté que l'effondrement du cessez-le-feu en mars avait marqué un tournant. «Les gens se demandaient: 'Pourquoi retournons-nous à Gaza? Pourquoi envoyons-nous nos enfants tuer et être tués?' […] Les gens comprennent [maintenant] qu'il s'agit de tuer pour tuer, d’affamer pour affamer. Et oui, ce que nous faisons actuellement à Gaza relève de la politique d'anéantissement ».
Bien que l'armée israélienne ne publie pas de chiffres sur le refus de la conscription, Yesh Gvul, un groupe pacifiste, a déclaré à CNN qu'en moyenne, chaque année, 20 pour cent des jeunes appelés à servir refusent de le faire. Cela inclut les refusniks et les « refusniks gris», c'est-à-dire les personnes qui demandent une exemption pour raisons de santé mentale ou de santé afin d'échapper au service militaire et d'éviter une peine de prison.
L'un des premiers signes d'opposition à la guerre est apparu avec la première lettre de refus signée par 41 réservistes l'été dernier. Max Kresch, de Soldats pour les Otages, un groupe de réservistes s'organisant contre la guerre et refusant publiquement de servir pour y mettre fin, indique que plus de 240 soldats ont publiquement déclaré leur refus de participer aux attaques contre Gaza. Beaucoup d'autres le font sur les réseaux sociaux.
En mars, des informations non confirmées indiquaient que jusqu'à 50 pour cent des réservistes refusaient, après de multiples périodes de service consécutives, de retourner à la guerre. En mai, 1 200 officiers, réservistes et militaires en service actif, ont écrit une lettre ouverte appelant le gouvernement et le chef d'état-major de l'armée à cesser les combats à Gaza, affirmant qu'il s'agissait d'une guerre politique qui « ne défend pas la sécurité nationale d'Israël et est donc immorale ».
Lundi, le Jerusalem Post a rapporté, citant Kan Public News, que quatre soldats avaient refusé de participer à de nouveaux combats à Gaza. Trois d'entre eux ont été jugés par un tribunal militaire et condamnés à des peines allant de 7 à 12 jours de prison. Le quatrième n'avait pas encore été jugé.
Tous quatre avaient participé à de multiples périodes de combats à Gaza et perdu des amis dans la guerre. L'un d'eux avait été blessé à la frontière de Gaza en 2024 et, après sa convalescence, est retourné combattre volontairement. Bien que leur refus de combattre fût dû à une «profonde crise intérieure», les soldats ont affirmé avoir été immédiatement emprisonnés au lieu de recevoir des soins. L'article précisait que ce n'était pas la première fois que cela se produisait.
(Article paru en anglais le 30 juillet 2025)