Le gouvernement progressiste-conservateur de droite de l’Ontario a pris le contrôle de quatre conseils scolaires des régions du Grand Toronto et d’Ottawa, mettant de côté les conseillers scolaires élus, afin de procéder à des coupes budgétaires massives et à des attaques en règle contre les droits des travailleurs.
Le gouvernement du premier ministre Doug Ford a nommé des superviseurs chargés de surveiller les activités des quatre commissions scolaires à la suite d’une « enquête » sur les finances des commissions scolaires.
Les conseils scolaires placés sous la tutelle du gouvernement comprennent les deux plus grands de la province, à savoir le Toronto District School Board (TDSB) et le Toronto Catholic District School Board (TCDSB), ainsi que l’Ottawa-Carleton District School Board (OCDSB) et le Dufferin-Peel Catholic School Board (DPCSB). Ce dernier supervise les écoles catholiques publiques de la région de Peel, qui comprend une grande partie des banlieues ouest et nord-ouest de Toronto, et du comté de Dufferin, dans le centre de l’Ontario.
Le gouvernement n’a pas caché son intention d’utiliser la prise de contrôle des conseils scolaires pour intensifier ses efforts de réduction des dépenses publiques. Dans une déclaration, il s’est dit préoccupé par « les déficits croissants, l’épuisement des réserves et la mauvaise gestion », tout en admettant qu’il n’est pas question de malversations financières de la part des conseils ou des conseillers élus des conseils scolaires.
Le ministre de l’Éducation, Paul Calandra, accuse les quatre conseils d’avoir des « déficits insoutenables » et met en garde que le gouvernement est prêt à prendre le contrôle d’autres conseils pour réduire les dépenses. « Tous les conseils scolaires de la province sont prévenus », a-t-il déclaré.
Le Centre canadien de politiques alternatives a noté dans un rapport que le gouvernement Ford a réduit le financement de l’éducation publique de 6,3 milliards de dollars depuis son arrivée au pouvoir en 2018. À lui seul, le TDSB a subi des coupes de près de 900 millions de dollars depuis 2018, selon le même rapport. Des milliards de dollars en coupes supplémentaires sont prévus d’ici la fin de la décennie.
L’opposition officielle, le Nouveau Parti démocratique de l’Ontario (ONDP), élude les questions fondamentales qui sont en jeu dans sa réponse à la prise de contrôle des conseils scolaires, se contentant de la dépeindre comme un coup de force et un jeu politique de la part du gouvernement. On ne peut rien attendre de plus du NPD de l’Ontario social-démocrate, un parti qui a joué un rôle clé dans le maintien au pouvoir des libéraux de McGuinty-Wynne et qui sabrait lui-même dans les dépenses consacrées à l’éducation publique et aux autres services publics avant l’arrivée de Ford. Les enseignants, les étudiants, leurs familles et tous les travailleurs qui veulent défendre les services publics pour tous ne trouveront aucun soutien pour un tel combat dans ce parti pro-capitaliste qui, au niveau fédéral, soutenait le gouvernement libéral dans ses préparatifs de guerre et ses réductions en termes réels des transferts aux provinces dont dépend le financement des services publics.
La présidente de la section torontoise de la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l'Ontario (FEESO), qui représente les enseignants du secondaire, Michelle Texeira, qualifie ces prises de contrôle d’« affront à la démocratie locale et à la voix de la communauté. Les enquêtes sur ces conseils scolaires ne sont rien d’autre qu’une ruse destinée à détourner l’attention du fait que le gouvernement Ford sous-finance délibérément l’éducation dans cette province. »
Loin d’être une « distraction », ces prises de contrôle sont un mécanisme permettant d’intensifier les attaques contre le financement de l’éducation.
Cependant, la question plus fondamentale soulevée par les remarques de la bureaucrate de la FEESO est la suivante : comment se fait-il qu’un droitiste enragé comme Ford, qui ne cesse de mener des attaques contre l’éducation publique et le financement des autres services publics, puisse continuer de s’en tirer en dépit d’une opposition généralisée de la classe ouvrière ?
La réponse se trouve dans les actions et la perspective politique des syndicats du secteur de l’éducation. Ces derniers étouffent systématiquement l’opposition aux coupes en s’opposant à la mobilisation des travailleurs de la base et, à travers elle, de l’ensemble de la classe ouvrière dans un mouvement de défense pour un financement adéquat de l’éducation publique et des services publics accessibles à tous.
Lorsque l’opposition s’est développée, sous la forme de grèves et de manifestations de masse, ces syndicats ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour la saboter et empêcher l’émergence d’une confrontation politique directe avec le gouvernement Ford et son programme d’austérité capitaliste. Ils l’ont fait en collaboration avec les bureaucraties syndicales au niveau national, comme le Congrès du travail du Canada et Unifor, qui sont intéressés avant tout à préserver leurs privilèges corporatistes tirés de leur partenariat étroit avec les gouvernements et les grandes entreprises.
La grève du personnel de soutien à l’éducation de 2022 en est l’exemple le plus clair. Ces 55.000 travailleurs faiblement rémunérés ont débrayé en dépit d’une loi antigrève draconienne préparée par le gouvernement Ford afin de procéder à des attaques radicales sur les salaires et les conditions de travail. Alors que les appels à la grève générale se multipliaient au sein de la classe ouvrière, les syndicats de l’éducation de l’Ontario, ainsi que des représentants du CTC et d’Unifor, ont mené des négociations secrètes avec Ford et le ministre de l’Éducation de l’époque, Stephen Lecce, afin de les persuader de lever l’interdiction de grève en échange de l’arrêt des actions sans qu’aucune des revendications des travailleurs n’ait été satisfaite. Les syndicats d’enseignants ont alors joué un rôle particulièrement odieux, en ordonnant aux enseignants de franchir les piquets de grève de leurs collègues du personnel de soutien. L’étouffement de la grève par la bureaucratie syndicale a conduit, en l’espace d’un mois, à l’imposition d’un contrat de capitulation aux travailleurs de soutien, comprenant des augmentations de salaire inférieures à l’inflation et le maintien de la précarité de l’emploi.
Laura Walton, qui dirigeait alors le Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario, l’organisation qui a négocié au nom du personnel de soutien en grève, a depuis été promue au poste de présidente de la Fédération du travail de l’Ontario. Les bureaucrates syndicaux qui l’ont choisie ont sans doute été impressionnés par sa capacité à faire dérailler l’opposition naissante de la classe ouvrière à Ford et par sa loyauté à l’égard du système de « négociation collective » pro-patronal dont la bureaucratie tire ses privilèges.
La construction d’un mouvement de résistance contre les attaques du gouvernement Ford sur l’éducation et les services publics nécessite une rébellion des travailleurs de la base contre la bureaucratie syndicale, dont les intérêts matériels sont liés à l’État capitaliste et à la rentabilité du capitalisme canadien, et qui sont par conséquent hostiles aux travailleurs qu’ils prétendent représenter. De nouvelles formes d’organisation pour mener la lutte de classe – des comités de base – doivent être mises en place dans chaque école et établissement d’enseignement afin que les travailleurs du secteur de l’éducation puissent lutter pour leurs revendications. Cela implique le rejet décisif des arguments fallacieux avancés par la classe dirigeante sur l’acceptation de ce qui est « abordable » – des arguments qui reposent en fait sur la réduction des dépenses sociales afin de faire des cadeaux aux oligarques milliardaires et gaspiller des dizaines de milliards supplémentaires dans la machine de guerre du Canada.
Partout au Canada, la destruction de l’éducation publique est en cours. Le gouvernement chauvin du « Québec d’abord » de la CAQ de François Legault a lui aussi accru son contrôle sur les écoles publiques en éliminant les commissions scolaires élues et en les remplaçant par des « centres de services scolaires » régionaux. Le régime de la CAQ veut procéder à des centaines de millions de dollars en compressions pour l’année scolaire 2025-2026, ce qui aura un effet dévastateur sur les élèves et le personnel.
Les attaques contre l’éducation et les autres services publics au niveau provincial sont un élément clé de l’assaut de la classe dirigeante contre les dépenses sociales pour financer la guerre impérialiste. Au début du mois de juin, le gouvernement fédéral libéral a annoncé une augmentation massive de 17 % des dépenses militaires, afin d’atteindre l’objectif minimum de 2 % du PIB fixé par l’OTAN pour les dépenses militaires au cours de l’exercice fiscal actuel. Depuis cette annonce, les chefs de gouvernement de l’OTAN, dont le premier ministre libéral Mark Carney, ont décidé de porter cet objectif à 5 %. Cela signifierait que le Canada devra dépenser 150 milliards de dollars par année pour les Forces armées. Ces sommes considérables doivent être soutirées à la classe ouvrière par le biais d’une exploitation accrue et de la destruction des services publics dont les travailleurs dépendent.
Aux États-Unis, le président fascisant Donald Trump entreprend à toute vitesse le démantèlement du département de l’Éducation fédéral, qui fournit annuellement environ 100 milliards de dollars en financement aux écoles publiques. Cela vient s’ajouter aux coupes sombres que les politiciens du Parti démocrate effectuent au niveau des États et des villes. Tous les partis capitalistes en Amérique du Nord soutiennent l’austérité.
Par conséquent, les conditions sont ainsi réunies pour une lutte unifiée à l’échelle de toute l’Amérique du Nord, faisant des barrières provinciales et nationales utilisées depuis longtemps par la bourgeoisie tant au Canada qu’aux États-Unis pour diviser les travailleurs et les empêcher de mobiliser leur énorme puissance économique et politique.
Les travailleurs du secteur de l’éducation peuvent contribuer à lancer une contre-offensive de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste en créant des comités de base indépendants. Pour élargir leur lutte au-delà des frontières provinciales artificielles soutenues par la bureaucratie syndicale et le cadre de la « négociation collective » patronal, ces comités doivent s’affilier à l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC), qui mène la lutte pour mobiliser le pouvoir social et politique de la classe ouvrière à l’échelle internationale contre les attaques menées sur les emplois et les niveaux de vie, et contre l’austérité et la guerre impérialiste.