La Nouvelle-Calédonie continue de faire partie de la France en vertu d'un « accord historique»

Les partis indépendantistes et anti-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie se sont engagés à respecter un accord dit «historique» concernant le futur statut politique de ce territoire français du Pacifique, qui est désormais appelé à devenir un «État» dans le cadre de la Constitution française.

Le président Emmanuel Macron, au centre, le Premier ministre François Bayrou, à gauche, et le ministre des Outre-mer Manuel Valls assistent à une réunion avec les élus et les représentants de l'État en Nouvelle-Calédonie, au palais de l'Élysée à Paris, le 12 juillet 2025. [AP Photo/Tom Nicholson]

L'accord de 13 pages, officiellement intitulé « Projet d'accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie », a été signé le 12 juillet après dix jours de négociations à Bougival, à l’ouest de Paris. Ces pourparlers, convoqués par le président français Emmanuel Macron, visaient à créer un nouveau document destiné à remplacer l'Accord de Nouméa de 1998 qui devait introduire un « partage des pouvoirs ».

Les délégations présentes aux pourparlers comprenaient toutes les factions politiques de Nouvelle-Calédonie : quatre groupes anti-indépendantistes (les Loyalistes; Rassemblement-Les Républicains; Eveil océanien et Calédonie ensemble) et deux groupes indépendantistes, l'UC-FLNKS (Union Calédonienne comprenant la principale coalition du Front de libération nationale kanak et socialiste, et l'Union Nationale pour l'Indépendance (UNI), qui comprend le Parti de libération kanak (Palika) et l'Union Progressiste en Mélanésie (UPM).

L'accord crée un «État de Nouvelle-Calédonie» au sein de la France et une Nouvelle nationalité calédonienne. Macron l'a qualifié de «pari de la confiance» conduisant à une « relation apaisée avec la France». Il engage tous les signataires, qui doivent maintenant le vendre à leurs propres bases politiques toutes profondément méfiantes.

Une séance commune de l'Assemblée nationale et du Sénat se tiendra cette année afin d’inscrire l'Accord de Bougival dans la Constitution. Il sera ensuite soumis à référendum en Nouvelle-Calédonie début 2026, puis ratifié par l'Assemblée nationale.

La réunion de Bougival a été surnommée le «sommet de la dernière chance» après l'échec d'une série de négociations entre février et mai de cette année, présidées par le ministre français de l'Outre-mer Manuel Valls. La dernière réunion à Nouméa avait capoté après que Valls eut présenté une proposition prévoyant une forme de «souveraineté avec la France», incluant un transfert de compétences clés – défense, ordre public, monnaie, affaires étrangères, justice – de Paris à la Nouvelle-Calédonie et une double nationalité kanak/française.

Les négociations avaient initialement été convoquées suite au soulèvement de sept mois de la jeunesse kanak l'an dernier dirigé contre le régime colonial français. Des émeutes généralisées avaient fait 14 morts, principalement dues aux gendarmes français, et des dégâts estimés à 2,2 milliards d'euros. Alimentée par les inégalités sociales, le chômage et le désespoir économique, la rébellion avait vu une jeunesse socialement exclue entrer en conflit non seulement avec l'oppression coloniale mais encore avec l'establishment politique du territoire, notamment avec les partis indépendantistes kanaks officiels.

Le mouvement indépendantiste a fait scission (article en anglais) en décembre dernier: le FLNKS, majoritaire, réclamait la pleine souveraineté, tandis que les factions « modérées » cherchaient un accord commun avec Paris. Les partis « loyalistes » pro-français se sont catégoriquement opposés à tout accord qui ne tiendrait pas compte des trois référendums organisés entre 2018 et 2021, dont le scrutin final controversé et boycotté par les Kanaks indépendantistes, qui avaient rejeté l'indépendance.

L'élite dirigeante française n'a jamais eu l’intention d’abandonner son emprise sur cette possession coloniale d'importance stratégique. Dès le début, Macron a clairement indiqué que « l’ordre républicain» serait imposé de la manière la plus brutale. Plus de 7 000 militaires et policiers furent dépêchés pour réprimer l'«insurrection» et des militants indépendantistes kanaks importants furent emprisonnés en France. Macron fit pression sur les partis indépendantistes pour qu'ils mettent les jeunes émeutiers au pas, ce qu'ils ont fait avec obéissance.

Aux termes de cet accord, les appels pour une indépendance politique pleine et souveraine qui étaient au cœur du soulèvement ont été trahis. L'accord ne donne pas l'indépendance à ce territoire qui est une colonie française depuis 172 ans, ni immédiatement ni à terme.

L'accord est plus étoffé que les propositions précédemment présentées par Valls. Le nouvel « État de Calédonie» sera instauré par une «loi fondamentale» inscrite dans la Constitution française. Il pourra être reconnu par d'autres nations et fonder une «nationalité calédonienne», tout en permettant à ses habitants d'acquérir également la nationalité française. Il pourrait également permettre aux Calédoniens de changer le nom et le drapeau du territoire.

L'État français conserve le contrôle de la police, des tribunaux, de la monnaie et de la défense, mais avec de nouvelles structures pour incorporer à un «partenariat» élargi une couche plus importante de l'establishment politique calédonien. La Province Sud, qui comprend Nouméa et est un centre des forces anti-indépendantistes, recevra de nouveaux pouvoirs fiscaux et administratifs, ainsi que des sièges supplémentaires au sein d'un Congrès agrandi à 56 membres.

La compétence en matière d'affaires étrangères sera transférée au gouvernement de Nouvelle-Calédonie. La colonie a déjà renforcé son « intégration régionale » depuis son adhésion au Forum des îles du Pacifique en 2016. Mais elle doit mener ses relations diplomatiques « conformément aux engagements internationaux et aux intérêts de la France » et défendre les intérêts stratégiques majeurs de Paris, notamment sa base militaire sur l'île principale et son engagement dans la montée en puissance des préparatifs de guerre des États-Unis visant la Chine.

Si la France conserve le contrôle des tribunaux et de la police, l'accord prévoit la création d'une police provinciale et de proximité. Ce dispositif policier local vise à compenser le déploiement des impopulaires gendarmes français responsables d'attaques brutales et meurtrières contre les manifestants et insurgés kanaks.

Tous les habitants seront également autorisés à voter après avoir résidé dix ans sur le territoire. Actuellement, seules les personnes nées dans la colonie ou y ayant résidé avant 1998 peuvent voter. Ce changement, qui renforce l'influence des migrants récemment arrivés de France et diminue la proportion de Kanaks parmi la population inscrite sur les listes électorales, a été l'un des principaux déclencheurs des troubles civils. Les élections provinciales, initialement reportées, qui devaient se tenir plus tard cette année selon les anciennes règles restrictives, seront reportées à mi-2026.

L'accord prévoit également un «Pacte de refondation» économique et financier qui comprendrait un soutien aux capacités vitales de traitement du nickel du territoire, actuellement soumises à forte pression de la part des fournisseurs indonésiens et chinois. Des limites seront probablement imposées quant à la destination du nickel, qui a des usages stratégiques et militaires et que la France souhaite conserver au sein de l'Union européenne en tant que «minerai stratégique».

Les deux parties ont rapidement fait la promotion de l'accord, qui a déjà suscité de vives réactions. Dans un communiqué conjoint, les deux principaux partis pro-français, Les Loyalistes et le Rassemblement-LR, ont qualifié cet accord d'«historique» et de «pérenne», qui offrait à la Nouvelle-Calédonie «un avenir de paix, de stabilité et de prospérité» tout en tenant compte de la stratégie Inde-pacifique de la France.

Nicolas Metzdorf, homme politique anti-indépendantiste, a cependant qualifié cet accord de compromis né d'un «dialogue exigeant» et a décrit la nationalité calédonienne comme une « véritable concession». Philippe Blaise, vice-président de l'administration de la Province Sud, a déclaré que l'accord «franchissait une ligne rouge» en reconnaissant un «État calédonien» et une «nationalité distincte», ce qui, selon lui, était incompatible avec l'unité de la France.

Pour les indépendantistes, Emmanuel Tjibaou, député de Nouvelle-Calédonie à l'Assemblée nationale, a déclaré que l'accord aiderait à «sortir de la spirale de la violence». Il a décrit un «chemin difficile» à parcourir, mais qui permettrait aux Kanaks et aux autres Calédoniens d'«avancer ensemble» tout en «réparant les divisions».

Dans un communiqué officiel, le FLNKS affirmait le 13 juillet que l'accord comportait des «avancées majeures concernant l'objectif de recueillir à terme l'ensemble des attributs de souveraineté ». Il commençait ainsi: « Dans un moment difficile pour notre pays, marqué par une crise politique, économique et sociale profonde, nous, l'équipe mandatée par le FLNKS, avons pris nos responsabilités ».

De nombreux militants indépendantistes ont condamné l'accord sur les réseaux sociaux. La journaliste locale Brigitte Whaap a déclaré à Radio NZ que si une partie de la population était «soulagée» des progrès réalisés et de la proposition d'accord, beaucoup se sentaient «trahis et profondément bouleversés par cette situation».

Brenda Wanabo-Ipeze, responsable de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), actuellement incarcérée en France, a déclaré: «Ce texte, il est signé sans nous. Il ne nous engage pas… Ouvrir le corps électoral, c'est nous effacer». Les autorités françaises ont déclaré la CCAT principal groupe organisateur des manifestations et une dizaine de ses dirigeants fait toujours l'objet de graves accusations criminelles.

Joël Kasarerhou, président du groupe de la société civile Construire Autrement a qualifié l'accord de «mort-né» et de «manquant d'ambition et de vision». Il a déclaré que les jeunes au cœur du soulèvement de mai 2024 avaient été «oubliés ou à peine mentionnés» et craignait un nouveau «13 mai», en référence à la date du début des émeutes.

Ce que l'accord n'a pas abordé, et encore moins résolu, c'est la profonde crise économique et sociale qui frappe la colonie, en particulier la classe ouvrière et la jeunesse pauvres. Quel que soit le résultat officiel des manœuvres politiques en cours d’exécution au sommet, les problèmes à l'origine des troubles – pauvreté endémique, inégalités sociales, chômage et désespoir social – eux, demeurent.

(Article paru en anglais le 21 juillet 2025)

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