L'UAWD (Unite All Workers for Democracy – Union de tous les travailleurs pour la démocratie) a voté le 27 avril pour sa dissolution. Fondé en 2019 par des membres des DSA (Democratic Socialists of America), de Labor Notes et d'autres défenseurs d’une «réforme syndicale», l'UAWD a joué un rôle central pour installer Shawn Fain à la présidence de l'UAW et pour donner une couverture de gauche à l'appareil syndical, dont elle fait partie.
La dissolution de l'UAWD est une preuve de plus que les actions anti-ouvrières de la bureaucratie de l'UAW ne sont pas juste le résultat d’une «mauvaise» politique , mais qu’elles émanent des intérêts sociaux de l'appareil même. Elle est aussi une confirmation du programme avancé par le travailleur socialiste de l'automobile Will Lehman, qui s'est présenté contre Shawn Fain aux élections syndicales de 2022 sur une plate-forme visant à abolir – et non à réformer – la bureaucratie et à transférer le pouvoir aux travailleurs par le biais de comités de la base.
Le contexte immédiat de la dissolution de l'UAWD est l'adhésion ouverte de la bureaucratie de l'UAW à l'administration fasciste de Trump. L'UAW est l’un de plusieurs grands syndicats qui présentent faussement les tarifs douaniers de Trump comme une aubaine pour les travailleurs – alors même qu'ils déclenchent des licenciements massifs dans toute l'Amérique du Nord et dans une industrie automobile mondialement intégrée. La logique de cette politique de guerre commerciale est la préparation d'une guerre contre la Chine et d'autres rivaux de l'impérialisme américain ; elle s’accompagne d'une offensive intérieure contre les travailleurs par le biais du chômage de masse et la hausse des prix.
Fain était déjà largement méprisé par les travailleurs de l'automobile pour son rôle dans la facilitation de milliers de suppressions d'emplois dans l'industrie automobile. L'UAWD, déjà complice de ces licenciements, est à présent encore plus discréditée, associée qu’elle est à la collaboration du syndicat avec un apirant-dictateur fasciste et soutenant une politique qui ouvre la voie à la guerre mondiale.
Cela a conduit à un effondrement prévisible du soutien à l'UAWD ; la dissolution du groupe est intervenue suite à des mois de baisse des recrutements, de démissions et d’une désaffection croissantes.
Une résolution proposée en mars déclarait : «Les conflits internes ont considérablement entravé le recrutement... Les membres se sont désengagés... citant une culture toxique et un manque d'intérêt pour les questions qui leur tiennent le plus à cœur». Elle ajoute que les membres de l'UAWD «ne peuvent plus travailler ensemble pour atteindre des objectifs communs», soulignant les divisions irréconciliables sur l’orientation de l'organisation.
Lors de la réunion en ligne du 27 avril, les membres ont voté à 160 contre 137 pour dissoudre l'UAWD. En quelques heures, presque toutes les déclarations que le groupe avait publiées au cours des six dernières années avaient été effacées d'Internet.
Le vote a provoqué d'amères récriminations, la minorité accusant la majorité d'avoir utilisé des méthodes antidémocratiques pour imposer la décision. La pression en faveur de la liquidation a été menée par Scott Houldieson, ancien vice-président de la section locale 551 de l'UAW et figure de longue date des DSA, de Labor Notes et d'autres cercles de la pseudo-gauche. Membre fondateur de l'UAWD, Houldieson a joué un rôle central dans le soutien au bureaucrate de carrière Fain comme candidat présidentiel du groupe en 2022.
Des membres de l'UAWD issus de sections locales universitaires et d'aide juridique – tels que Ye-Eun Jong (Columbia), Andrew Bergman et Toly Rinberg (tous deux de Harvard) – ainsi que des membres vétérans comme Judy Wraight, une ouvrière retraitée de Ford Rouge qui s'est ralliée à Against the Current, se sont opposés à l'arrêt des activités.
Cette soi-disant «aile lutte des classes» a offert à la bureaucratie de l’UAW une façade anti-guerre et anti-génocide, tandis que Fain faisait campagne pour Biden et Harris et laissait expulser de force des membres de l’UAW protestant contre le génocide à Gaza lors de rassemblements. Leur position est devenue de plus en plus intenable à mesure que Fain adoptait le nationalisme «America First» de Trump et abandonnait les étudiants persécutés comme l’ancien membre de l’UAW Mahmoud Khalil.
Aucune des factions n’est en mesure de rendre compte honnêtement de la véritable source de la crise au sein de l'organisation. Au lieu quoi, ils se livrent à d'âpres luttes intestines, échangeant des accusations à caractère personnel ou organisationnel, plutôt que de principe.
Histoire et fonction de l'UAWD
L'UAWD a été fondée en 2019 avec le soutien de la publication de pseudo-gauche Labor Notes dans le cadre d'une manœuvre visant à contenir l'opposition croissante de la base. Son but était d’empêcher cette agitation de se transformer en mouvement indépendant qui puisse défier non seulement la bureaucratie syndicale, mais aussi le système de profit capitaliste.
Elle a été créée dans le cadre d'un vaste scandale de corruption qui a conduit à l'emprisonnement de plus d'une douzaine de responsables de l'UAW, dont deux anciens présidents. Avec le soutien du contrôleur de l'UAW nommé par un tribunal, l'establishment politique a soutenu l'UAWD pour installer Fain lors d'une élection syndicale truquée au détriment de la base.
L’UAWD a joué un rôle clé dans la nouvelle administration. A la conférence Labor Notes de l’an dernier, après un discours promouvant une économie de guerre, Shawn Fain a brandi son exemplaire personnel annoté du Troublemakers Handbook (Manuel des fauteurs de troubles) de Labor Notes, qu’il décrivait comme sa «bible».
Son personnel a été et reste bien rémunéré pour le rôle joué en tant que conseillers principaux dans la bureaucratie syndicale. Le chef de cabinet de Fain, Chris Brooks, membre des DSA et ancien rédacteur de Labor Notes, a empoché 211 968 dollars en 2024. Son assistant, Jonah Furman, également ancien de Labor Notes et organisateur de la campagne des primaires de Bernie Sanders en 2020, a gagné 175 318 dollars. Tous deux ont publié des déclarations défendant l'adhésion de l'UAW à la politique nationaliste de guerre commerciale de Trump.
Au cours de la lutte contractuelle de 2023, l'UAWD a promu la fausse grève «Stand Up» (Grève debout) – qui a maintenu la grande majorité des travailleurs au travail – comme une brillante innovation tactique. Elle a glorifié la séance photos de Fain avec Biden et contribué à répandre la fraude que les contrats de bradage étaient des «victoires historiques».
En réalité, le contrat a été imposé de force par des mensonges. Quelques semaines après son adoption, des milliers de licenciements ont commencé – touchant d’abord les travailleurs temporaires, auxquels on avait faussement promis des emplois à plein temps. Tout au long de cette période, Fain et l’UAWD ont gardé un silence coupable, interrompu uniquement par une brève campagne médiatique nationaliste accusant les directions «étrangères» des suppressions de postes chez Stellantis.
Aujourd'hui, la minorité reconnaît que le mécontentement grandit, à mesure que les lacunes et les échappatoires des contrats des Big Three (GM, Stellantis, Ford) présentés comme historiques en 2023, deviennent plus évidentes. Pourtant, ce sont eux qui avaient salué ces accords de capitulation comme « historiques ».
Dans un article sur l’effondrement de l’UAWD, Labor Notes a écrit, avec un mépris à peine dissimulé pour les travailleurs, que la résurgence d’un « pessimisme à l'égard de leur syndicat » était la cause du déclin du groupe. En réalité, ce qu’il rejette comme du cynisme est une haine croissante et légitime envers la bureaucratie – un sentiment d’opposition qui cherche une manière de riposter.
Le nationalisme et la faillite de la «réforme»
La soi-disant faction « lutte des classes » avertit que les démarches de Fain vers l’ancien Caucus administratif et ses relations ambiguës avec Trump nuiront à sa crédibilité. Mais leur préoccupation n’est pas de s’opposer à la bureaucratie – c’est de la préserver. Ils soutiennent que la rhétorique du « syndicalisme de lutte des classes » de l’UAWD reste nécessaire comme couverture politique, un moyen d’empêcher l’opposition croissante des travailleurs de se transformer en véritable rupture avec l’appareil syndical.
La minorité prétend maintenant que l'adhésion de Fain aux tarifs douaniers de Trump est une réponse à un «virage à droite» plus large dans le pays, écrivant: «Malheureusement, nos dirigeants de l'UAW ressentent également cette pression, comme le montre leur récent soutien aux tarifs douaniers protectionnistes de Trump, qui finiront par nuire aux travailleurs mexicains, canadiens et américains et créeront une douloureuse pression inflationniste.»
Wraight ajoute dans Against the Current: «L'UAW devrait revenir sur son soutien aux tarifs douaniers de Trump et s'appuyer sur la solidarité internationale... »
C'est là le comble du cynisme, étant donné le rôle direct de l'UAWD dans la promotion – et dans certains cas dans l'élaboration – de cette même politique. Fain et les bureaucrates ne font pas que «sentir la pression» de la droite; leur adhésion à Trump reflète l'hostilité profondément enracinée de la bureaucratie à l'égard de la classe ouvrière, son anticommunisme bien ancré, son nationalisme «America First» et son identification aux intérêts de l'impérialisme américain.
L'UAWD n'est qu'une des innombrables organisations – telles que Teamsters for a Democratic Union (TDU), Autoworker Caravan, le Caucus of Rank-and-File Educators (CORE) et d'autres – qui ont émergé au cours des 45 dernières années en affirmant qu'il était possible de «réformer» les syndicats tout en préservant la bureaucratie et en rejetant une lutte pour le socialisme.
Dans les conditions de la mondialisation et de l'aggravation de la crise du capitalisme américain, il s'est avéré impossible de concilier cette orientation avec la défense même la plus minimale des intérêts des travailleurs. Partout où ces forces ont gagné des positions au sein de la bureaucratie syndicale, elles sont devenues des instruments pour imposer de nouvelles trahisons encore plus massives.
Au sein des Teamsters, l'organisation sœur de l'UAWD, le TDU a joué un rôle central dans l'élection du président général «réformiste» Sean O'Brien. Aujourd'hui, la bureaucratie dirigée par O'Brien aide à mettre en œuvre la destruction de dizaines de milliers d'emplois chez UPS. O'Brien s'est aligné encore plus ouvertement sur Trump que Fain, et le TDU manœuvre discrètement pour rejoindre sa liste aux élections syndicales de l'année prochaine.
L’UAWD et Will Lehman : hier et aujourd'hui
En mars 2023, l'UAWD déclarait triomphalement qu'avec l'élévation de Fain, «un nouveau jour se lève pour notre syndicat. Shawn sera le prochain président de l'UAW, et les réformateurs obtiendront le contrôle majoritaire... »
Dans une récente interview de Tempest sur le conflit interne au sein de l'UAWD, les dirigeants de la faction minoritaire se sont fait l'écho du même discours, déclarant: «Les deux parties reconnaissent que Fain est le meilleur président que l'UAW ait eu depuis des décennies... »
L’UAWD s’est opposé à la campagne du travailleur de Mack Trucks Will Lehman, qui proposait d’abolir la bureaucratie et de transférer le pouvoir à la base ouvrière. Ils ont rejeté ses revendications comme « irréalistes », promouvant Fain comme l’alternative « pratique ».
Lorsque Lehman a dénoncé la suppression systémique des votes et tenté de prolonger la période électorale, l’UAWD s’est rangé du côté de la bureaucratie en s’opposant à la plainte déposée par lui. Elle a défendu une élection où Fain a remporté la victoire avec les voix de moins de 5 % des membres éligibles et écarté la privation massive des droits des travailleurs comme une simple « apathie ». Ils ont contribué par là à légitimer un processus frauduleux conçu pour maintenir le pouvoir entre les mains de l’appareil.
Lehman a répliqué: « L'opposition de Fain à l'octroi d'un droit de vote significatif aux travailleurs de base montre que sa faction n'est pas différente de celle de [l'ancien président Ray] Curry. »
Il n'a fallu qu'un peu plus de deux ans depuis son plus grand «succès» apparent pour que l'UAWD se désintègre. Cet effondrement est une manifestation indirecte mais révélatrice du conflit irréconciliable entre la bureaucratie syndicale et la base – un conflit qui ne peut être résolu par des slogans creux sur l'«organisation ascendante» ou le «syndicalisme démocratique».
L'UAWD a été construite pour bloquer la rébellion. Aujourd'hui, elle s'est effondrée sur elle-même. Ses restes tenteront de constituer de nouveaux pièges, mais son éclatement montre aussi que les conditions sont de plus en plus favorables à la construction d'une véritable alternative: des comités de la base pour abolir la bureaucratie et transférer le pouvoir à la base ouvrière – c'est-à-dire la construction de l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (initiales anglaises IWA-RFC).
L'IWA-RFC est le mécanisme essentiel pour unir la classe ouvrière au-delà de toutes les divisions nationales, ethniques et sectorielles. Elle fournit le cadre organisationnel permettant aux travailleurs de s'opposer au nationalisme et au chauvinisme promus par les élites dirigeantes dans tous les pays. Elle se bat pour relier les luttes des travailleurs à l'international, pour s'opposer au fascisme, à la dictature et à la guerre impérialiste.
La rébellion contre l'appareil syndical constituera un élément central de l'émergence d'un mouvement indépendant de la classe ouvrière. Des luttes sociales colossales se profilent à l'horizon, qui opposeront les travailleurs à l’aspirant-Führer Trump, à ses facilitateurs du Parti démocrate et à l'ensemble de l'État capitaliste. L'ascension de Trump – et son étreinte par les bureaucrates syndicaux pro-capitalistes – est elle-même le produit de la profonde crise du système capitaliste. Cette crise donnera lieu à des soulèvements révolutionnaires aux États-Unis et dans le monde.
Les travailleurs doivent tirer les leçons essentielles de l'effondrement de l'UAWD. La tâche n'est pas la «réforme» futile d'un appareil pro-capitaliste, mais le développement de leur indépendance politique et de leur organisation propres. Ce qu'il faut, c'est la lutte pour un programme socialiste qui unisse les travailleurs aux États-Unis et à l'échelle internationale dans une lutte commune contre le système capitaliste et contre tous ses agents.
(Article paru en anglais le 3 mai 2025)