Le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Muhammad Asif, a averti lundi qu'une frappe militaire indienne contre son pays était «imminente», ajoutant qu'Islamabad ne répondrait avec des armes nucléaires tactiques ou stratégiques que s'il existait «une menace directe pour notre existence».
L'affirmation d'Asif concernant une attaque imminente a été relayée par le ministre pakistanais de l'Information, Attaullah Tarar, tard mardi. Celui-ci a déclaré qu'il existait «des renseignements vérifiés indiquant que l'Inde envisage de mener une opération militaire contre le Pakistan» dans les 24 à 36 prochaines heures.
Tarar a ensuite promis que le Pakistan répondrait à toute attaque indienne de manière équivalente, faisant planer le spectre d'une descente rapide vers une guerre totale entre les deux pays. «Toute aventure militaire de l’Inde recevra une réponse certaine et décisive», a déclaré Tarar. «La communauté internationale doit reconnaître que la responsabilité de toute escalade catastrophique incombera uniquement à l’Inde. Le peuple pakistanais défendra sa souveraineté et son intégrité territoriale à tout prix.»
Les tensions entre les deux puissances nucléaires rivales d’Asie du Sud sont vives depuis que le gouvernement indien, dirigé par le parti suprémaciste hindou BJP (Bharatiya Janata Party) a accusé le Pakistan d’un attentat terroriste brutal survenu le 22 avril près de Pahalgam, au Cachemire contrôlé par l’Inde, qui a coûté la vie à 26 touristes.
New Delhi n’a fourni aucune preuve d’une implication de l’État pakistanais dans l’atrocité de Pahalgam et a rejeté d’emblée les appels d’Islamabad pour une enquête internationale sur cette attaque.
Le gouvernement indien a au contraire pris une série de mesures de «représailles» provocatrices et a donné tous les signes de vouloir mener une frappe transfrontalière contre le Pakistan – potentiellement plus forte encore que celles menées en 2016 et 2019 où elle avait là aussi attribué au Pakistan la responsabilité d’actions d’insurgés islamistes au Cachemire sous contrôle indien.
Ces derniers jours, le Premier ministre indien Narendra Modi et d’autres hauts responsables gouvernementaux ont multiplié les menaces contre le Pakistan, promettant de frapper les «maîtres-terroristes» et les «organisateurs», et pas seulement les auteurs d’actes terroristes, sans nommer directement le pays.
Entre-temps, au nom de la «chasse aux militants», les forces de sécurité indiennes ont lancé une campagne de répression massive au Cachemire, si dure et si aveugle que même les politiciens pro-indiens de la Conférence nationale du Jammu-et-Cachemire (J&K) et du Parti démocratique populaire du J&K ont été contraints de la critiquer.
Selon une source de la Press Trust of India, Modi a donné mardi aux forces armées indiennes une «liberté opérationnelle» totale pour déterminer le «mode, les cibles et le calendrier» de la réponse indienne à l’attaque du 22 avril, lors d’une réunion avec les chefs de la sécurité nationale du pays. Parmi les participants à la réunion figuraient le ministre de la Défense Rajnath Singh, le conseiller à la sécurité nationale Ajit Doval, le chef d’état-major de la défense le général Anil Chauhan, ainsi que les chefs de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air.
Le Pakistan prépare lui aussi son armée au combat. S’adressant à Reuters lundi, le ministre de la Défense Asif a déclaré qu’Islamabad avait placé ses forces en état d’alerte maximale et mis en place des mesures pour contrer et répondre à une attaque indienne. «Nous avons renforcé nos forces car cela est désormais imminent. Dans cette situation, certaines décisions stratégiques doivent être prises, et elles l’ont été.» Indiquant l’état de tension et la possibilité qu’une frappe indienne déclenche une escalade de représailles militaires, Asif a également soulevé la question du niveau de menace qui entraînerait le recours du Pakistan à son arsenal nucléaire.
Chaque nuit depuis jeudi dernier, on assiste à ce qui est décrit comme des tirs transfrontaliers d'armes légères le long de certaines parties de la ligne de contrôle (LOC). La LOC est la frontière qui délimite le Jammu-et-Cachemire tenu par l'Inde de l'Azad Cachemire occupé par le Pakistan, en attendant la résolution finale de leurs revendications concurrentes sur tous les territoires de l'ancien État princier britannico-indien du Cachemire.
Mardi, l'armée pakistanaise s'est vantée d'avoir abattu un quadcoptère indien de surveillance le long de la ligne de contrôle, «contrecarrant ainsi une violation de son espace aérien». Elle a également saisi un soldat indien des forces de sécurité frontalières qui se serait égaré sur la ligne de contrôle alors qu'il accompagnait des agriculteurs locaux s'occupant de leurs récoltes.
Le conflit entre l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire et, plus largement, pour le pouvoir et l’influence en Asie du Sud, est un conflit réactionnaire entre puissances capitalistes rivales. Ses racines remontent à la partition communautariste du sous-continent indien en un Pakistan musulman et une Inde hindoue en 1947-1948.
Dans le but de s’assurer des avantages géostratégiques et économiques, et comme moyen de détourner les tensions de classe vers l’extérieur et de diviser les travailleurs et les masses par l’incitation au communautarisme, les élites capitalistes indiennes et pakistanaises ont perpétué ce conflit sur plus de huit décennies. D’innombrables ressources humaines et matérielles ont été gaspillées dans de multiples guerres, déclarées ou non, de nombreux accrochages frontaliers et crises de guerre, ainsi que dans l’acquisition et le développement d’armements, y compris, depuis la fin des années 1990, d’armes nucléaires.
Le gouvernement du BJP, aidé et encouragé par les médias et les partis d'opposition, utilise l'atrocité de Pahalgam pour attiser un nationalisme belliqueux, attiser la réaction communautariste et lancer de nouvelles attaques contre les droits démocratiques.
Des organisations hindoues d’extrême droite, soutenues par le BJP au pouvoir, ont lancé des attaques contre des étudiants cachemiris suivant des études ailleurs en Inde, forçant des centaines d’entre eux à fuir vers leur région d’origine. Mardi, Modi a rencontré Mohan Bhagwat, le chef du RSS suprémaciste hindou, apparemment pour discuter de la réponse de l’Inde à l’attaque de Pahalgam. Le BJP est une émanation du RSS, qui a une longue histoire sanglante d’incitation communautariste.
Lorsque le chef d’une grande organisation d’agriculteurs indiens s’est opposé à l’annonce provocatrice de l’Inde de suspendre pour la première fois sa participation au Traité des eaux de l’Indus, car cela nuirait aux agriculteurs pakistanais, il a été largement vilipendé, un dirigeant du BJP l’accusant de «parler le langage du Pakistan».
Lundi, le gouvernement a coupé l'accès à plus d'une douzaine de chaînes de médias pakistanaises grand public sur YouTube, dont Dawn News et Geo News, au motif qu'elles diffusaient des «contenus provocateurs» et des «informations erronées sur l'Inde, son armée et ses agences de sécurité».
Jeudi dernier, le principal parti stalinien, le Parti communiste d'Inde (marxiste) ou CPI(M), a participé à une réunion de tous les partis, organisée par le BJP pour pousser la population derrière son exploitation de l'attaque terroriste, exiter aux actes réactionnaires et lancer une action militaire contre le Pakistan. Le CPI(M) n'a critiqué aucune des mesures de «représailles» de New Delhi dirigées contre le Pakistan, dont l'expulsion de tous les ressortissants pakistanais en Inde (sauf personnel diplomatique) et la suspension du Traité de l'Indus, qui menace, surtout à long terme, l'accès du Pakistan à une eau vitale pour son réseau électrique et son irrigation.
Au cours des deux dernières décennies, le conflit indo-pakistanais a été de plus en plus entremêlé au conflit opposant l'impérialisme américain et la Chine, ajoutant à tous deux une énorme charge explosive.
La campagne de Washington pour faire de l'Inde un contrepoids à la Chine, incluant l'octroi à New Delhi d'une série de faveurs stratégiques, a bouleversé l'équilibre des forces – ou plus précisément l'«équilibre de la terreur» – entre New Dehli et Islamabad.
Cela a enhardi l'Inde à vouloir changer les règles du jeu dans ses relations avec le Pakistan et à s'affirmer comme l’hégémon de la région. À l'instar de ses alliés américains et israéliens, New Delhi a revendiqué le «droit» d'organiser des attaques transfrontalières illégales contre le Pakistan. Lorsqu'elle l'a fait en 2016 et 2019, elle a reçu le soutien de Washington, avec Obama puis avec Trump.
Le Pakistan a réagi en renforçant son partenariat stratégique «tous temps» avec la Chine, ce qui a eu pour effet de tendre davantage les relations avec l'Inde et les États-Unis.
En 2019, le gouvernement Modi a cherché à renforcer son emprise sur le Jammu-et-Cachemire et sa position face à la Chine et au Pakistan en abolissant illégalement le statut constitutionnel autonome spécial du territoire à majorité musulmane et en le faisant passer du statut d'État à celui de territoire de l'Union, contrôlé par le gouvernement central. Dans le même temps, il a séparé le Ladakh, qui borde l'Aksai Chin contrôlé par la Chine, du Jammu-et-Cachemire, afin de faciliter la militarisation de la région.
Mardi, la Chine a, pour la deuxième fois consécutive, exprimé son inquiétude face à l'aggravation des tensions entre l'Inde et le Pakistan.
Alors que l'Iran et l'Arabie saoudite ont cherché à parler aux deux parties et que les Nations unies et l'Union européenne ont appelé à la retenue et au dialogue, Washington n'a pratiquement rien dit, et n'intervient certainement pas pour freiner son allié indien.
(Article paru en anglais le 30 avril 2025)