Le syndicat SindmetalSJC, sous la houlette du CSP-Conlutas (Centrale syndicale et populaire- Coordination nationale des luttes) et affilié au Parti socialiste des travailleurs unifiés (PSTU) moréniste, a organisé le 27 mars un séminaire intitulé « Souveraineté en danger ? L'avenir de la base industrielle de défense du Brésil ». Cet événement a été la manifestation la plus directe à ce jour de la politique nationaliste réactionnaire pro-militaires des morénistes. En quête d'une alliance avec le patronat, ils y ont invité des militaires et des personnalités qui défendaient la dictature militaire sanglante de 1964-1985.
L'événement a été frauduleusement promu par Conlutas comme un moyen de défendre les emplois à l'usine d'armement Avibras de São José dos Campos, dans l'État de São Paulo. Le dirigeant syndical Weller Gonçalves a déclaré que l'événement avait été organisé en raison de «la crise chez Avibras et de l'absence d'action efficace du gouvernement pour aider les travailleurs et défendre la souveraineté nationale».
Les travailleurs d'Avibras se battent depuis plus de deux ans pour obtenir le paiement des arriérés de salaires et la préservation de leur emploi. Depuis septembre 2022, l'entreprise a cessé de verser les salaires de tous ses employés et n’a annulé 420 licenciements que suite à une vive opposition. Loin d'apporter une quelconque « aide » aux travailleurs d'Avibras, SindmetalSJC a multiplié les visites au ministère de la Défense, empêchant ainsi l'unité de lutte d' Avibras avec les travailleurs de secteurs industriels clés comme Embraer et Mercedes-Benz.
Le thème principal du séminaire de Conlutas était la subordination de la classe ouvrière à l'État brésilien au nom de la «souveraineté nationale». Il offrait une tribune pour défendre la perspective fausse et profondément réactionnaire du «développement de l'industrie nationale» par des investissements massifs dans la fabrication d'armes.
Outre la participation de personnalités liées à l'industrie de l'armement et de militaires en activité, l'expression la plus directe de cette conviction fut l'invité d'honneur, Robinson Farinazzo, qui inaugura le séminaire. Défenseur convaincu de la dictature militaire, Farinazzo déclara entretenir une profonde amitié avec Weller Gonçalves.
Farinazzo a été présenté comme « un officier de réserve de la marine brésilienne, un expert en technologies aéronautiques et de défense » et « un défenseur de la souveraineté nationale ». Conlutas a dissimulé les aspects les plus révélateurs de la politique de Farinazzo. En 2022, il a posé pour des photos avec Nouvelle Résistance (NR), un groupe d'extrême droite brésilien inspiré par le philosophe russe fasciste Alexandre Douguine, que Farinazzo a également rencontré la même année.
Lors de sa présentation, Farinazzo a cité une liste d'entreprises d'armement et a déclaré : « Dans les années 1960 et 1970, il y avait une multitude d'entreprises. Nous étions la Chine du monde. Avec une croissance de 11 pour cent par an, chaque travailleur pouvait changer d'emploi quand il le souhaitait et gagner toujours plus. »
Il a salué la décision du régime du général Ernesto Geisel de cesser d'importer des armes des États-Unis en 1977. «Le président Geisel a dénoncé un traité de 1952 que le Brésil avait conclu avec les États-Unis pour l'achat d'armes. Lorsque Geisel s'est retiré de cet accord, le Brésil a dû faire preuve d'introspection […] Ce retrait a été l'une des meilleures décisions de son gouvernement ».
Selon ce récit, la dictature militaire défendait l'industrie de l'armement et, par conséquent, les travailleurs brésiliens. Cependant, selon Farinazzo, après l'adoption par les gouvernements militaire et civil des années 1980 et 1990 d'une politique économique dite « néolibérale », l'économie brésilienne s'est effondrée, entraînant la fermeture d'entreprises spécialisées dans la production de chars et de véhicules blindés.
La conception de Farinazzo, selon laquelle la décision de l'État en matière de politique économique a essentiellement produit toutes les conséquences du néolibéralisme au Brésil, a été expliquée par un autre invité du séminaire, le général d'armée Ivan Neiva Filho.
Celui-ci a déclaré que l'impulsion fondamentale pour une industrie nationale résidait dans la décision de la monarchie portugaise de construire des usines à des fins militaires pour défendre le Brésil colonial, il y a deux siècles. Selon Neiva Filho, l'industrie de l'armement est la base essentielle de tout développement industriel et économique : « L'industrie de la défense a un caractère radicalement différent des autres secteurs industriels. La BID [Base industrielle de défense] n'est pas une organisation de marché et ne fonctionne pas selon les normes habituelles du marché. »
Sur fond d’appels au renforcement de l'industrie d'armement pendant l'événement, Conlutas a ignoré le fait que cela ne pouvait qu'aggraver le danger de guerre dans la région et renforcer le pouvoir politique de l’armée même qui avait conspiré avec Bolsonaro dans la tentative de coup d'État du 6 janvier 2023. Farinazzo et Neiva Filho ont été applaudis par les bureaucrates de Conlutas, Gonçalves déclarant à la fin que «l'événement a atteint son objectif».
La conception réactionnaire de Farinazzo et Neiva Filho contredit les éléments fondamentaux de la réalité économique et sociale ; elle efface l’existence des classes dans la société capitaliste et justifie la répression de toute opposition sociale dans l’intérêt de l’État capitaliste.
Loin d’être une simple décision de politiciens capitalistes, la destruction de larges secteurs industriels dans les années 1980 et 1990 reflète la rupture de la politique dite « d’industrialisation par substitution aux importations» qui avait caractérisé les gouvernements nationalistes bourgeois d’après-guerre au Brésil et dans d’autres pays de la région.
Avec les crises pétrolières et la contraction économique mondiale des années 1970, le régime militaire a poursuivi une politique économique d’investissement par l’endettement, accumulant une dette massive qui est passée de 12,5 milliards de dollars US à 100 milliards de dollars entre 1974 et 1980.
En 1979, effrayée par une vague de grèves et de manifestations de masse aux États-Unis et dans le monde, la Réserve fédérale, banque centrale américaine représentant les intérêts de l'ensemble de la classe dirigeante américaine, a procédé à une forte hausse des taux d'intérêt, connue sous le nom de « choc Volcker», du nom de Paul Volcker, alors président de la Réserve fédérale. Cette politique a entraîné un chômage de masse et la destruction de régions industrielles entières aux États-Unis, et a provoqué des chocs dans toute l'Amérique latine.
L'augmentation des taux d'intérêt par la Fed a définitivement mis fin à la politique de la junte militaire, accélérant la crise sociale et déclenchant un mouvement de grève massif dans les années 1980.
Contrairement à ce qu’affirme Farinazzo, les grèves ouvrières qui ont mis fin à deux décennies de dictature ont été précédées par une stagnation et une contraction des salaires, ainsi que par une augmentation explosive des inégalités sociales.
Le Parti des travailleurs (PT) fut créé à cette époque comme un piège préventif pour bloquer la mobilisation politique de la classe ouvrière. Grâce à son aide, la bourgeoisie parvint finalement à stabiliser le capitalisme brésilien et à ressusciter les formes de gouvernement parlementaire bourgeois.
Les bouleversements économiques des années 1980 traduisaient de profondes tendances au sein de l'économie capitaliste mondiale. Le développement de nouvelles méthodes de production, de transport et de transactions financières a entraîné l'émergence de sociétés transnationales et de chaînes d'approvisionnement mondiales, mettant fin à toute politique fondée sur le réformisme national. Elles ont exacerbé la contradiction fondamentale croissante du capitalisme entre le caractère internationalement intégré de la production capitaliste et le système des États-nations.
En fin de compte, c'est cette contradiction objective fondamentale du système capitaliste qui a mis fin à la politique économique du régime militaire, et non pas les simples décisions des politiciens capitalistes individuels, comme Conlutas voudrait le faire croire aux travailleurs.
La perspective nationaliste que Conlutas a cherché à cultiver lors de son événement réactionnaire se heurte à la réalité. Un produit indésirable du « néolibéralisme » pour les capitalistes a été l'intégration internationale et le renforcement sans précédent de la classe ouvrière. Ce processus a également conduit au discrédit complet de toutes les bureaucraties syndicales qui avaient exercé un contrôle sur la classe ouvrière dans l'après-guerre par le biais du nationalisme économique.
Aujourd’hui, tout vestige d’un soutien au Parti des Travailleurs associé aux mesures sociales mises en œuvre dans la seconde moitié des années 2000 sous Lula, a depuis longtemps cédé la place à la colère sociale contre des années de coupes sociales aidées par le PT et l’appareil syndical qui l’entoure.
Lula enregistre dans son troisième mandat un degré de rejet record dans les sondages. Son gouvernement réagit en se conformant aux intérêts des forces les plus autoritaires et réactionnaires de la politique nationale, actuellement concentrées sur les négociations pour l'amnistie de Bolsonaro et des généraux ayant participé à la tentative de coup d'État du 6 janvier.
Parallèlement, Lula répond à la guerre tarifaire de l'administration Trump par une campagne nationaliste réactionnaire « Le Brésil aux Brésiliens », cherchant à détourner l'opposition sociale à des années de coupes dans les programmes sociaux et de hausses des prix. L'ordre capitaliste en faillite produit à nouveau des forces fascistes et des partisans d'une nouvelle dictature autoritaire ; et avec la guerre commerciale et une marge de manœuvre qui s’amenuise, la bourgeoisie brésilienne ne voudra qu'accélérer cette poussée autoritaire.
Alors que la réponse nationaliste de Lula et de ses ministres place l'armée au centre de la politique nationale, le rôle joué par Conlutas est d'étouffer la lutte des travailleurs en faveur des intérêts de la bourgeoisie brésilienne.
Indépendamment des déclarations pour la forme du dirigeant de Conlutas en défense des travailleurs, la réalité est que cette organisation syndicale dirigée par les morénistes restera dans les mémoires pour avoir fourni une plateforme à des figures sympathisant avec le fascisme et à des défenseurs agressifs du militarisme, les ennemis les plus violents de la classe ouvrière.
Les travailleurs d’Avibras doivent rejeter avec mépris le programme pro-patronat promu au séminaire de Conlutas, qui cherche à les subordonner à la «compétitivité de l’industrie nationale», c’est-à-dire aux intérêts des grandes entreprises et du capital financier international.
Le seul programme viable pour les travailleurs d’Avibras est de rejeter la politique nationaliste réactionnaire et de lutter pour unir leur lutte à celle de tous les travailleurs du Brésil et du monde entier.
La politique d'intégration des syndicats à l’État et à l’industrie prônée lors de l’événement de Conlutas s'oppose directement aux luttes sociales croissantes et à la solidarité internationale des travailleurs. Lors de la grève des travailleurs de Boeing aux États-Unis en octobre 2024, ceux d'Embraer du Brésil ont fait preuve d'une forte volonté de grève et ont exprimé leur solidarité avec les travailleurs américains.
Aujourd’hui, le poison du nationalisme économique promu par l’administration Trump entre déjà en conflit avec les intérêts sociaux de la classe ouvrière américaine et internationale, ce qui trouve son expression dans un mouvement d’opposition massif à travers les États-Unis.
(Article paru en anglais le 29 avril 2025)