Une panne d'électricité géante a pratiquement paralysé l'Espagne et le Portugal lundi affectant des dizaines de millions de personnes dans la péninsule ibérique. Lignes de métro, hôpitaux, aéroports, feux de circulation, distributeurs automatiques de billets et systèmes de télécommunications, tout a cessé de fonctionné. Des scènes qui ont ramené la population du XXIe siècle aux conditions du XIXe siècle.
Cette panne qui a commencé peu après midi a paralysé de grandes villes comme Madrid, Barcelone, Lisbonne, Séville et Valence. Elle a également entraîné des pannes d'électricité plus petites dans certaines parties du Maroc et du sud de la France. À la tombée de la nuit, les opérateurs du réseau électrique n'avaient pu rétablir le courant que pour 20 % de la population en Espagne et pour 10 % au Portugal.
La vie sociale et économique s'est arrêtée dans toute la péninsule ibérique. Les conduites d'eau et les téléphones portables n’a plus marché dans une grande partie de toute cette région. La circulation s'est effondrée ne formant plus que des embouteillages, les feux de circulation hors d’usage transformant les routes en pièges mortels. À Madrid, le maire José Luis Martínez-Almeida a ordonné la fermeture des quatre tunnels principaux du périphérique M-30. Adif, l'opérateur ferroviaire public espagnol, a suspendu tous ses services « jusqu'à nouvel ordre » après l'arrêt des trains et des métros, laissant des masses de personnes piégées, dont beaucoup sous terre et dans l'obscurité.
Le ministre espagnol des Transports, Oscar Puente, a déclaré que la « principale priorité » était de secourir les personnes coincées dans les trains, et que les gares resteraient ouvertes « pour aider la vie des personnes qui ont dû prendre le train et n'ont pas d'autre choix que d'y passer la nuit ».
Les services d'urgence ont dû organiser de nombreuses opérations pour secourir les personnes coincées dans les ascenseurs qui se sont eux aussi arrêtés soudainement en pleine panne de courant. Dans les hôpitaux, seuls des groupes électrogènes de secours ont permis d'éviter les catastrophes. Les interventions non urgentes ont été suspendues et le personnel médical s'est précipité pour maintenir les opérations chirurgicales essentielles, les systèmes de survie et sauver les patients dépendant de machines à oxygène, incapables de survivre longtemps sans électricité.
L'industrie et le commerce se sont effondrés. Les magasins et les supermarchés ont été contraints de fermer ou de ne fonctionner qu'avec de l’argent liquide, les paiements par carte et les guichets automatiques ne fonctionnant plus. À Terrassa, près de Barcelone, les magasins vendant des générateurs ont été dépouillés par des habitants désespérés. En Espagne et au Portugal, des géants de l'industrie comme Seat, Ford, Repsol et ArcelorMittal ont suspendu leurs activités, un choc économique aggravé par la fermeture généralisée des commerces de détail et la perturbation des chaînes d'approvisionnement, déjà affectées par les tarifs douaniers de la guerre commerciale menée par Washington.
Les aéroports de Madrid, Barcelone et Lisbonne ont été plongés dans le chaos, fonctionnant avec des générateurs d'urgence alors que les vols étaient retardés ou annulés. TAP Air Portugal a demandé aux passagers de ne pas se présenter à l'aéroport. Le touriste néerlandais Marc Brandsma, bloqué à Lisbonne, a déclaré à l'Associated Press : « Nous n'avons vu aucun avion arriver ou partir depuis 50 minutes que nous attendons ici. »
Entre-temps, les compagnies d'électricité se sont efforcées de rétablir le courant. Le Conseil de sécurité nucléaire espagnol a déclaré hier vers 17 heures que les sept réacteurs nucléaires espagnols ne risquaient pas de surchauffer, malgré la coupure d'électricité. Trois réacteurs étaient hors ligne et les quatre autres ont été automatiquement déconnectés du réseau; des génératrices d'urgence ont été mises en marche pour assurer le fonctionnement continu des systèmes de refroidissement et d'entretien essentiels.
Le Réseau de transport d'électricité (RTE) français a indiqué qu'il travaillait avec ses homologues espagnol et portugais pour acheminer d'abord 750 MW, puis 900 MW d'électricité dans la péninsule ibérique. Cela faciliterait le redémarrage de la production, les centrales de la péninsule étant remises en service progressivement, afin d'éviter de surcharger les connexions à l'intérieur de l'Espagne et du Portugal.
Les cabinets espagnol et portugais ont convoqué des sessions d'urgence alors qu'ils s'efforçaient de contenir les retombées. Au milieu de rumeurs non fondées faisant état d'une cyberattaque russe qui aurait pu être à l'origine de la panne, les services de renseignement espagnols, dont le Centre national de cryptologie et le Centre national de renseignement, ont lancé une enquête sur une possible cyberattaque. Des informations ont également fait état d'un incendie dans le sud de la France qui aurait pu perturber les principaux échangeurs de distribution d'électricité avec l'Espagne.
Au moment d'écrire ces lignes cependant, les autorités espagnoles et portugaises ont déclaré qu'il n'y avait aucune preuve de cyberattaque. Le Premier ministre portugais Luis Montenegro a déclaré qu'il n'y avait « aucune indication » d'ingérence étrangère, dans un discours où il a annoncé l'état d'urgence pour permettre à l'État d'envoyer l'électricité disponible aux consommateurs les plus vitaux, tels que les hôpitaux.
Le Premier ministre Pedro Sánchez a annoncé que le gouvernement espagnol avait pris en main la gestion directe de la réponse à la panne dans trois régions: Andalousie, Estrémadure et Madrid. S’exprimant depuis sa résidence officielle de La Moncloa, Sánchez a averti: «Nous ne disposons pas encore d’informations concluantes sur les causes de cette coupure, c’est pourquoi je demande aux citoyens de s’informer par le biais des canaux officiels. Il vaut mieux ne pas spéculer, nous n’excluons aucune hypothèse.»
Il a exhorté les Espagnols à ne pas sortir en voiture et à limiter l’utilisation de leurs appareils électriques, ajoutant: «Nous devons nous concentrer sur la restauration de l’approvisionnement en électricité.»
Bien qu'il soit trop tôt pour déterminer avec certitude les causes de cette panne, les premières analyses du réseau électrique suggèrent qu’elle a eu des causes naturelles qui ont interagi avec une incapacité plus générale à réaliser des investissements suffisants dans le réseau.
Le Réseau National d’Électricité du Portugal (REN) a déclaré dans un communiqué: «En raison de variations extrêmes de température à l’intérieur de l’Espagne, des oscillations anormales sont survenues sur les lignes à très haute tension (400 kV), un phénomène connu sous le nom de “vibration atmosphérique induite”. Ces oscillations ont provoqué des défaillances de synchronisation entre les systèmes électriques, entraînant des perturbations successives au sein du réseau européen interconnecté»
Georg Zachmann, chercheur principal au groupe de réflexion Bruegel de Bruxelles, a déclaré au Guardian que cela avait conduit la fréquence du réseau à tomber en dessous de la norme européenne de 50 Hz, avec des «déconnexions en cascade des centrales électriques». Il a ajouté que la mise en place d'un plus grand nombre d'énergies renouvelables, comme le solaire et l'éolien, avec une production d'énergie plus intermittente et imprévisible, nécessitait davantage d'investissements pour s'assurer que cette intermittence ne perturbe pas la fréquence du réseau: «Vous ne pouvez pas l'ignorer. Vous avez besoin d'outils pour faire fonctionner le système ».
La panne d'électricité a mis en évidence la fragilité de l'infrastructure électrique privatisée de l'Espagne et du Portugal. Depuis le début de l'année, des avertissements sont lancés que le réseau énergétique espagnol souffre de vulnérabilités chroniques créées par des décennies de déréglementation et l'expansion chaotique des énergies renouvelables sans investissement dans la stabilisation des infrastructures. Comme l'a expliqué El Economista plus tôt cette année, Red Eléctrica a longtemps été aux prises avec de «fortes oscillations de tension» dû à un mélange de baisse de la demande d'énergie et d'intégration massive des énergies renouvelables.
La situation est devenue suffisamment critique pour que la Commission nationale des marchés et de la concurrence (CNMC) avertisse en janvier: «Le système perd de sa marge d'action dans les situations exceptionnelles, les niveaux de tension atteignant ou dépassant même les limites réglementaires en certains points». En effet, un récent incident électrique à Madrid, où des problèmes de contrôle ont mis hors service l'une des gares les plus importantes du pays, Chamartín, a préfiguré l'effondrement de lundi à l'échelle nationale.
Ces pannes d'électricité mettent en évidence l’échec de la politique capitaliste de l'électricité en Europe, qui privilégie la dérégulation du marché et les bénéfices des investissements «verts» plutôt que la résilience du système et la sécurité publique.