L'Inde et le Pakistan, les puissances nucléaires rivales de l'Asie du Sud, se dirigent rapidement vers la guerre après que l'Inde a accusé le Pakistan d'être responsable d'une attaque terroriste brutale au Cachemire sous contrôle indien. Vingt-six touristes, tous citoyens indiens sauf un, ont été tués mardi lorsqu'ils ont été pris pour cible par une attaque commando près de Phalagram, dans la pittoresque vallée de Baisara.
Quelque 24 heures plus tard, le gouvernement indien, dirigé par le parti suprémaciste hindou Bharatiya Janata Party (BJP), a annoncé une série de mesures de «représailles» belliqueuses visant le Pakistan. De plus, tout indique qu'il ne s'agit là que d'une première salve ; une frappe militaire contre le Pakistan encore plus importante que celles de 2016 et 2019 ayant amené le sous-continent au bord d'une guerre totale, est à l'étude, si elle n'est pas déjà en préparation.
Depuis le début du XXIe siècle, et en particulier sous la direction du prétendu homme fort hindou Narendra Modi, l'Inde s'est intégrée à l'offensive militaro-stratégique toujours plus large de l'impérialisme américain visant la Chine. New Delhi compte sans aucun doute sur Trump pour être au moins aussi favorable à une action de l'Inde contre le Pakistan qu'il l'avait été en 2019, lors de son premier mandat, où il avait fait l'éloge d'une frappe indienne illégale au cœur du Pakistan.
Mercredi, dans des propos clairement adressés au Pakistan, le ministre indien de la Défense, Rajnath Singh, a déclaré: «Nous atteindrons non seulement ceux qui ont perpétré cet acte, mais aussi ceux qui, dans l’ombre, ont conspiré pour commettre de tels actes sur le sol indien.»
Pourtant, New Delhi n'a fourni aucune preuve à l'appui de ses affirmations sur l'implication de l'État pakistanais dans l'attaque de Pahalgam. Il a simplement affirmé que le Front de la Résistance, le groupe terroriste qui aurait revendiqué la responsabilité de l'atrocité, était lié au Lashkar-e-Taiba (LeT), une organisation terroriste islamiste ayant précédemment reçu le soutien de sections de l'appareil militaire et du renseignement pakistanais.
Les mesures annoncées mercredi comprennent: un ordre demandant à tous les ressortissants pakistanais en Inde, à l’exception du personnel diplomatique, de quitter le pays avant le 29 avril; la fermeture du principal poste-frontière terrestre entre l’Inde et le Pakistan, reliant Amritsar à Lahore; l’expulsion de tout le personnel militaire pakistanais attaché à son ambassade en Inde; et le retrait de tout le personnel de l’ambassade d’Inde à Islamabad, à l’exception d’une équipe réduite.
L'annonce par New Delhi de la suspension de sa participation au traité sur les eaux de l'Indus est la plus provocante de toutes ces mesures. Au cours des 55 années écoulées depuis l'entrée en vigueur du traité, l'Inde et le Pakistan se sont livrés à deux guerres déclarées, à plusieurs guerres non déclarées et à d'innombrables escarmouches frontalières. Pourtant, jamais auparavant l'Inde n'avait suspendu le traité, s'arrogeant ainsi le pouvoir de priver le Pakistan de l'approvisionnement en eau dont dépendent son réseau électrique et son agriculture.
Jeudi, Modi a enchaîné avec un discours provocateur et va-t-en-guerre, dans lequel on pouvait entendre l’écho des menaces du président américain Donald Trump d'«anéantir» l'Iran et des discours du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu incitant au génocide contre les Palestiniens opprimés de Gaza.
S'adressant à un rassemblement du BJP dans le Bihar, Modi a fait cette promesse: «Ceux qui ont perpétré cette attaque terroriste et ceux qui l'ont planifiée recevront une punition au-delà de leur imagination… Il est temps de réduire en poussière ce qui reste de territoire aux terroristes. La détermination de 140 crores (1,4 milliard) d'Indiens va maintenant briser l’échine des maîtres de la terreur ». Le gouvernement indien dénonce depuis longtemps son grand rival, le Pakistan, comme le principal «État terroriste» du monde.
Le Pakistan a réagi de la même manière. Jeudi, il a annoncé qu'il suspendait l'accord de Simla, un traité signé en juillet 1972 suite à la guerre indo-pakistanaise de 1971. Il engage entre autre les deux pays à rechercher une résolution bilatérale pacifique des différends et il a établi la ligne de contrôle (LOC) qui sépare le Jammu-et-Cachemire occupé par l'Inde de l'Azad Cachemire contrôlé par le Pakistan, en attendant la résolution finale de leurs revendications concurrentes de souveraineté sur l'ensemble du Cachemire.
Dans une déclaration publiée jeudi par le Premier ministre pakistanais Shebhaz Sharif, Islamabad a amplifié ses récentes accusations que l'Inde cherchait à déstabiliser le pays, en fournissant notamment un soutien secret aux séparatistes baloutches et aux islamistes Tehreek-e-Taliban-e-Pakistan (talibans pakistanais).
Selon cette déclaration, le Pakistan exercerait « le droit de suspendre tous les accords bilatéraux avec l'Inde, y compris, mais sans s'y limiter, l'accord de Simla, jusqu'à ce que l'Inde cesse son comportement manifeste de fomenter le terrorisme à l'intérieur du Pakistan; les meurtres transnationaux; et le non-respect du droit international et des résolutions de l'ONU sur le Cachemire».
Elle accuse que la suspension par l’Inde du Traité sur l'eau de l'Indus (Indus Water Treaty) est illégale, l'eau constituant à la fois «un intérêt national vital du Pakistan» et «une bouée de sauvetage pour ses 240 millions d'habitants».
Il avertit ensuite que si l'Inde devait maintenant mettre à exécution sa menace de couper l'approvisionnement en eau du Pakistan, cela déclencherait la guerre: «Toute tentative d'arrêter ou de détourner l'écoulement de l'eau appartenant au Pakistan conformément au Traité sur les eaux de l'Indus... sera considérée comme un acte de guerre et il y sera répondu avec toute la force dans tout le spectre de la puissance nationale».
Le conflit indo-pakistanais est un conflit réactionnaire entre États capitalistes rivaux, qui a ses racines dans la partition communautaire de l'Asie du Sud en 1947, entre un Pakistan ouvertement musulman et une Inde hindoue. Par crainte de la montée du mouvement anti-impérialiste et surtout de l'émergence d'une classe ouvrière combative, le Congrès national indien dirigé par la bourgeoisie a abandonné son propre programme d’une Inde unie, démocratique et laïque et a conclu un accord sordide avec Londres pour un transfert rapide du pouvoir, dans lequel il a pris le contrôle de l'État capitaliste colonial érigé par l'impérialisme britannique.
Cela inclua notamment de collaborer avec son rival de droite, la Ligue musulmane, pour diviser le sous-continent communautairement, déclenchant des violences communautaires de masse dans lesquelles jusqu'à deux millions de personnes sont mortes et la migration forcée de quelque 20 millions de personnes, alors que les musulmans fuyaient l'Inde et les hindous et les sikhs le Pakistan.
Le contrôle du Cachemire, région ethnique, linguistique et géographique, ainsi que le nom d'un État princier ou vassal de l'ancien empire britannique des Indes, sont au cœur du conflit indo-pakistanais qui perdure. Le Cachemire a été divisé par la guerre de 1947-1948 en deux «Cachemires» rivaux, l'un contrôré par l'Inde et l'autre par le Pakistan.
Les bourgeoisies indienne et pakistanaise ont foulé aux pieds les droits démocratiques du peuple cachemiri. New Delhi a brutalement réprimé les manifestations de masse qui avaient éclaté en 1989 en réponse à la fraude électorale au Jammu-et-Cachemire, le seul État indien à majorité musulmane. Cela a déclenché une insurrection que le Pakistan a manipulée pour promouvoir ses propres intérêts réactionnaires en redéployant et en élargissant le réseau de milices islamistes qu'il avait développé à la demande de l'impérialisme américain pour combattre le gouvernement soutenu par les Soviétiques en Afghanistan.
Pendant des décennies, la LOC a été l'une des zones de conflit les plus dangereuses au monde, avec des concentrations massives de troupes indiennes et pakistanaises et d'artillerie déployées les unes contre les autres; et le Cachemire occupé par l'Inde parmi les régions les plus militarisées du monde. Plus d'un demi-million de membres du personnel de sécurité indien sont déployés dans une région de 14 millions d'habitants.
Le conflit du Cachemire et la géopolitique mondiale
Depuis le début du XXIᵉ siècle, le conflit indo-pakistanais s’est de plus en plus imbriqué dans la rivalité entre l’Inde et la Chine et dans le conflit opposant l’impérialisme américain à la Chine.
Washington a massivement dégradé ses relations avec le Pakistan, qui était son principal allié régional pendant la guerre froide, pour poursuivre un «partenariat stratégique mondial» avec l'Inde. Son objectif est de faire de l'Inde un contrepoids à la Chine, tout en assurant, en partenariat avec elle, la domination américaine sur l'océan Indien, dont les voies maritimes sont essentielles à l'accès de la Chine aux ressources et aux exportations mondiales.
Les présidents américains successifs, démocrates et républicains, ont depuis George W. Bush fait l'éloge du «partenariat» entre les États-Unis et l'Inde, allant parfois jusqu'à le décrire comme le «plus important» de l'Amérique pour maintenir sa domination tout au long du siècle.
Comme les États-Unis prodiguaient des faveurs stratégiques à l'Inde, notamment des armes de pointe et l'accès à la technologie nucléaire civile, le Pakistan avertit que Washington perturbait dangereusement «l'équilibre des pouvoirs » dans la région. Mais ses avertissements de plus en plus pressants ont été allègrement ignorés. Le Pakistan réagit en renforçant son partenariat stratégique «tous-temps» avec la Chine, avec pour effet de mécontenter davantage Washington et New Delhi.
Enhardi par le soutien des États-Unis, le gouvernement Modi a cherché à «changer les règles» des relations entre l'Inde et le Pakistan dans le cadre d’une campagne visant à s'imposer comme hégémon régional. Si les «frappes chirurgicales» transfrontalières menées par Modi au Pakistan sont loin d'être les premières entreprises par l'Inde, jamais auparavant New Delhi ne s'en était vanté et n'avait affirmé, dans le style des gangsters impérialistes de Washington et de Tel-Aviv, un «droit» à violer à sa guise le droit international.
L'antagonisme croissant entre les États-Unis et la Chine confère une importance stratégique mondiale renouvelée à la région du Cachemire. L'Inde a réaffirmé avec véhémence sa revendication sur l'ensemble du Cachemire dans le cadre d’une justification «juridico-diplomatique» pour son opposition farouche au corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), lui-même un élément clé de l'initiative chinoise de «Nouvelle route de la soie». Via le CECP, la Chine vise à relier le port pakistanais de Gwadar, en mer d'Arabie, à la Chine occidentale par voie ferroviaire et gazoduc, contournant ainsi les plans américains visant à étrangler l'économie chinoise en contrôlant les points de passage maritimes stratégiques.
En août 2019, peu après sa réélection comme Premier ministre, Modi a aboli le statut autonome spécial du Jammu-et-Cachemire au sein de l'Inde, en violation flagrante de la Constitution. Cet objectif de longue date du BJP et de la droite hindoue visait aussi à renforcer la position indienne face à la Chine et au Pakistan par un coup de force contre le Cachemire. Cette manœuvre incluait son démembrement et sa rétrogradation en Territoire de l'Union, le plaçant sous contrôle direct du gouvernement central. Un élément clé fut la sécession de la région reculée du Ladakh, frontalière de la Chine, érigée en Territoire de l'Union distinct, offrant ainsi à l'armée – engagée dans d'ambitieux projets d'infrastructures militaires le long de la frontière – une plus grande marge de manœuvre.
En mai-juin 2020, les troupes indiennes et chinoises se sont affrontées sur la frontière contestée entre le Ladakh, tenu par l'Inde, et l'Aksai Chin, tenu par la Chine. Un face-à-face frontalier tendu s'en est suivi, l'Inde et la Chine maintenant des déploiements massifs de dizaines de milliers de soldats, d'artillerie et d'avions de guerre sur l'un des terrains et dans l'un des climats les plus inhospitaliers du monde. Les États-Unis, sous la direction de Trump et de Biden, ont encouragé l'Inde dans ce conflit, l'utilisant pour intégrer davantage l'Inde dans leur réseau d'alliances anti-Chine. Washington a publiquement lié le conflit frontalier entre l'Inde et la Chine aux différends territoriaux entre la Chine et ses voisins de la mer de Chine méridionale, provoqués par les États-Unis, qualifiant la Chine d'agresseur, et a pour la première fois pris position sur le conflit frontalier sino-indien, déclarant que New Delhi était dans son bon droit.
Les prochains jours montreront jusqu'où l'Inde est prête à aller et prendre des risques pour assurer ses ambitions prédatrices et Washington l’est pour renforcer son alliance anti-Chine. Compte tenu des multiples crises qui secouent l'État et la bourgeoisie du Pakistan, le gouvernement d'extrême droite de Modi pourrait estimer qu'il est en mesure de porter un coup majeur à ses rivaux.
Ce qui est certain, c'est que tout affrontement militaire entre l'Inde et le Pakistan, tous deux dotés de l'arme nucléaire, pourrait rapidement devenir incontrôlable et déboucher sur une catastrophe, ce qui pourrait entraîner l'intervention d'autres puissances.
Il est également certain que les élites dirigeantes capitalistes de l'Inde et du Pakistan profiteront de la crise de la guerre pour attiser le communautarisme, attaquer les droits sociaux et démocratiques des travailleurs et des ouvriers et faire avancer une politique et des plans réactionnaires considérés auparavant comme trop explosifs. À cet égard, il est important de noter que l'Inde manifeste depuis un certain temps son mécontentement à l'égard du Traité sur les eaux de l'Indus, affirmant qu'il entrave le développement économique de l'Inde.