Le gouvernement espagnol PSOE-Sumar en passe d’imposer par décret une hausse impopulaire de 10 milliards d'euros des dépenses militaires

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez s'adresse aux médias à son arrivée pour un sommet de l'UE au Conseil européen à Bruxelles, le jeudi 6 mars 2025 [AP Photo/Omar Havana]

Le gouvernement espagnol, une coalition du PSOE social-démocrate et du parti de pseudo-gauche Sumar, dirigé par le Premier ministre Pedro Sánchez, a annoncé une augmentation record de 10,47 milliards d'euros des dépenses militaires pour 2025. Cette mesure vise à atteindre l'objectif de 2 pour cent du PIB fixé par l'OTAN, initialement exigé par l'administration Trump et pleinement soutenu par Biden. «Ce plan nous aidera à atteindre [l'objectif] en un temps record», a déclaré Sánchez. «L'Espagne contribue à la défense de l’Europe. »

Sánchez prévoit d'imposer cette augmentation par décret, contournant ainsi le processus budgétaire normal, de crainte de ne pas disposer du soutien parlementaire nécessaire pour la faire adopter par un vote en séance plénière. Cette manœuvre autoritaire souligne combien le militarisme et la guerre sont indissociables d'un tournant vers la dictature à l'intérieur du pays.

Cette escalade est mise en œuvre alors que les travailleurs sont confrontés à une inflation galopante, à une insécurité immobilière désastreuse et à des emplois précaires. Il s'agit d'un acte de guerre de classe. L'essentiel des fonds est destiné au matériel militaire offensif : radios tactiques, système de commandement MC3, satellite espion, navire de guerre électronique, modernisation des frégates F-100, nouveau navire de soutien, système de combat aérien du futur FCAS, véhicules chenillés et sept avions amphibies de lutte contre les incendies. Il ne s'agit pas là de sécurité intérieure, mais bien de guerre.

Le plan comprend également des mesures visant à renforcer les capacités du ministère de l'Intérieur en matière de cyber-renseignement et de capacité d'infrastructures de base, des moyens qui seront utilisés pour réprimer l'opposition anti-guerre et anti-austérité.

Dans un discours belliciste, Sánchez a justifié ces dépenses en évoquant une Europe en proie à la guerre. «Les ennemis de l'Europe», a-t-il déclaré, «n'utilisent pas seulement des missiles […] Ils utilisent des drones, des cyberattaques et l'IA pour saboter nos chaînes d'approvisionnement et polariser la société ». Sánchez faisait clairement référence à l'Ukraine.

C’est là la plus grande initiative de réarmement de l'histoire moderne de l'Espagne. Elle révèle l'état avancé des préparatifs de guerre impérialistes européens, qui visent non seulement la Russie et la Chine, mais aussi les États-Unis, alors que Washington intensifie ses tarifs douaniers contre l'UE.

L'annonce a suscité les critiques habituelles de la part de Sumar, partenaire de coalition du PSOE. La deuxième vice-première ministre, Yolanda Díaz, cheffe de facto de Sumar, a condamné le plan, le qualifiant de «proposition née aux États-Unis» et déploré l'absence de « coordination au niveau européen». Elle a ajouté: «Notre modèle est un projet de défense européen coordonné, sans augmentation budgétaire.»

La référence de Díaz aux origines américaines de la proposition fait suite à une récente visite de responsables espagnols à Washington, où le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, a exigé que l'Espagne augmente ses dépenses militaires et supprime la taxe sur les services numériques imposée aux géants technologiques américains. Cette décision intervient quelques jours après la visite de Sánchez à Pékin, devenant ainsi le premier dirigeant occidental à agir ainsi depuis l'escalade de la guerre commerciale mondiale des États-Unis. En réponse, Bessent a averti que s'aligner sur la Chine équivaudrait à «se couper la gorge».

La posture de Sumar est cynique. Tout en dénonçant la « course aux armements » de l'OTAN, l’organisation continue de gouverner aux côtés du PSOE et de mettre en œuvre le programme de l'OTAN. Le reproche de Díaz ne porte pas sur le réarmement en soi, mais sur les modalités et l'origine de son orchestration. La véritable préoccupation de Sumar et de ses alliés du Parti communiste stalinien (PCE) réside dans l'opposition croissante de l'opinion publique à la guerre, et non dans la guerre en soi.

Enrique Santiago, chef du PCE et membre de la coalition Sumar, a cyniquement affirmé son opposition au réarmement « non pas pour des raisons personnelles ou éthiques », mais parce que « l’immense majorité de la société ne veut pas se rendre complice de génocides ou de réarmement ». Il n’est pas par principe opposé au militarisme impérialiste, mais craint une opposition à sa gauche, de la part de la classe ouvrière. Un sondage CIS de novembre 2024 a révélé que seulement 14,2 pour cent des personnes interrogées étaient favorables à une augmentation des dépenses militaires, tandis que 50 pour cent réclamaient davantage d’investissements dans la santé et 42 pour cent accordaient la priorité à l’éducation.

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Podemos, désormais hors du gouvernement mais toujours un appui de celui-ci au Parlement, s'est joint à cette mascarade. Le parti a dénoncé Sánchez pour avoir dirigé un « gouvernement de réarmement et de guerre». L'ancienne ministre de l'Égalité du gouvernement PSOE-Podemos (2020-2023), Irene Montero, a déclaré: «Ce n'est pas ce pour quoi les gens ont voté», accusant le PSOE de trahison. Montero a déclaré que les dépenses « compromettront le bien-être des citoyens» et «entraîneront des coupes budgétaires», rendant impossible la poursuite de «la promotion des droits sociaux et de la sécurité féministes et antiracistes. C'est pourquoi il était si important que les citoyens descendent dans la rue et se mobilisent pour dire: ‘Non à la guerre’, ‘Non au réarmement’ et pour renforcer les forces de paix».

Mais Podemos, comme Sumar, est complice du programme militariste. Depuis 2020, il a soutenu toutes les escalades militaires majeures, approuvé la guerre de l'OTAN en Ukraine et soutenu les ventes d'armes à Israël. Ces partis ont longtemps servi de couverture de gauche à l'impérialisme espagnol.

Les spéculations vont bon train quant à une crise gouvernementale potentielle due aux tensions internes, susceptible de renverser la coalition de Sánchez. Mais même si le PSOE tombe, la poussée militariste de la classe dirigeante ne s'arrêtera pas. Cela permettrait simplement à Sumar et Podemos de se repositionner comme anti-guerre tout en continuant de promouvoir un programme nationaliste et militariste depuis les bancs de l'opposition.

L'agitation de Podemos contre l'impérialisme américain n'est pas anti-impérialiste. Elle prône l'« autonomie stratégique européenne », euphémisme pour désigner la création d'un bloc impérialiste rival. Son projet divise la classe ouvrière selon des clivages nationaux et brise la solidarité avec les millions d'Américains qui protestent aujourd'hui contre la politique fascisantes de l'administration Trump et le règne de l'oligarchie. Plutôt que de construire l'unité internationale, Podemos sème des divisions qui alimentent la guerre et la répression des deux côtés de l'Atlantique.

Cette politique d'«autonomie stratégique» s'inscrit dans la lignée des ambitions militaristes de la classe capitaliste européenne. Elle implique un vaste réarmement, la construction d'une base militaro-industrielle européenne et des propositions de dissuasion nucléaire à l'échelle continentale. Il ne s'agit pas d'une alternative à la domination américaine, mais d'un nouveau front dans un conflit inter-impérialiste croissant qui a déjà par deux fois plongé le monde dans la guerre mondiale.

Le WSWS n'a cessé d'avertir que la pseudo-gauche espagnole – Sumar, Podemos, le PCE – ne s’oppose pas au capitalisme ou à la guerre, mais agit comme agent de l'impérialisme. Elle représente une couche privilégiée de la classe moyenne supérieure, pleinement intégrée à l'État capitaliste, et est hostile à toute mobilisation indépendante de la classe ouvrière.

Leur trahison est particulièrement flagrante dans la complicité de l'Espagne dans la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza. Malgré les déclarations publiques pour la suspension des ventes d'armes, le gouvernement Sánchez continue d'acheter du matériel militaire israélien, « testé au combat » sur les Palestiniens. Le quartier général des affaires économiques de la garde civile a signé un contrat de 15 millions de balles de 9 mm, d'une valeur de 6,6 millions d'euros, avec la société israélienne de munitions Guardian Defense & Homeland Security SA, une filiale israélienne. Le marché a été discrètement annoncé à Pâques afin d'éviter tout retour de baton public.

La garde civile est une force de police paramilitaire chargée, entre autres, du maintien de l'ordre public. Elle dispose d'unités spécialisées prêtes à réprimer les manifestations de masse et les grèves, et dispose de pouvoirs étendus sur les régions rurales et frontalières. Le fait qu'elle s'approvisionne en munitions en provenance d'Israël en dit long sur les préparatifs de l'État espagnol en matière de répression interne, alors que les tensions sociales s'intensifient.

Le Parti populaire (PP), parti d'opposition de droite, a affiché sa volonté de clarifier les choses, mais il soutient lui aussi le réarmement. Le leader du PP, Alberto Núñez Feijóo, a déclaré que son parti «soutient les forces armées».

Les préparatifs de guerre du gouvernement PSOE-Sumar reflètent les évolutions observées en Europe. Les partis de centre -gauche, comme le SPD de Scholz en Allemagne et le Parti travailliste en Grande-Bretagne, ont été les principaux acteurs des préparatifs de guerre et du militarisme. Des milliards sont injectés dans l'armée, tandis que les services publics sont démantelés et les droits démocratiques supprimés.

Cette marche à la guerre doit être contrecarrée par la mobilisation consciente et internationale de la classe ouvrière. La lutte contre la guerre est indissociable de la lutte contre le capitalisme. Il est nécessaire de construire un véritable mouvement socialiste international, fondé sur les principes du trotskysme et sur le programme du Comité international de la Quatrième Internationale, pour mettre fin à la guerre impérialiste et au système capitaliste qui l’engendre.

(Article paru en anglais le 25 avril 2025)

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